La Convention sur la diversité biologique : des défis du développement durable à l’opposition d’enjeux entre le Nord et le Sud
Résumé
Les principes du développement durable sont intégrés dans la Convention sur la diversité biologique (CDB), mais sa mise en application présente des défis. Elle met en exergue des différences d’enjeux de développement et de protection de l’environnement entre le Nord et le Sud. Ainsi, la mise en œuvre de la Convention n’est pas encore effective à nos jours en dépit de toute la mobilisation internationale. L’approche méthodologique adoptée consiste à analyser la CDB en s’appuyant sur des données statistiques et bibliographiques relatives à la biodiversité mais également sur des expériences de terrain.
Mots clés : Convention sur la diversité biologique, pays du Nord, pays du Sud, développement durable, protection de l’environnement
Introduction
L’approche adoptée ne consiste pas à faire une critique des indicateurs de la durabilité. Elle ne consiste pas non plus à faire une critique des relations Nord-Sud. En effet, l’ensemble des données recueillies sur la thématique de la biodiversité sont exploitées ici dans une perspective d’écologie politique et de géographie politique environnementale montrant les enjeux et les défis du développement durable dans un contexte international, mais également la difficulté et la complexité de sa mise en œuvre tant pour les pays du Nord que pour les pays du Sud.
La première partie de ce texte retrace la problématique de la thématique. La deuxième partie porte sur l’analyse des avancées et limites de la CDB de 1992, soit 20 ans après Stockholm. Enfin, dans la conclusion, nous évoquons les récents accords internationaux relatifs à la biodiversité en termes de bilan et perspectifs.
Problématique et méthodologie
Au cours des années 60 et 70, la question environnementale est posée différemment avec l’apparition du discours sur le développement des pays du Sud, qui, dans leur immense majorité, accèdent à leur indépendance pendant cette période. Ce nouveau discours appelé « développementaliste » s’oppose à celui des « environnementalistes ». Cette opposition va connaître son paroxysme avec la conférence de Stockholm en 1972 qui marque son institutionnalisation à l’échelle internationale et scelle, dans une certaine mesure, la victoire des « développementalistes ». Ces derniers prônent l’idée d’un nouvel ordre mondial basé sur les principes de l’équité dans le développement et de justice sociale à l’échelle planétaire (Sach, 1980). En effet, à Stockholm, le sous-développement est considéré comme l’une des premières menaces sur l’environnement (Baker, 1983 ; World Bank, 1996). Plus tard, l’Union internationale pour la nature (UICN), dans son document de Stratégie mondiale de la conservation de la nature (1980), va changer son discours « conservationniste » en élaborant le concept d’utilisation durable. Il évoque donc pour la première fois l’idée de développement durable et va servir de tremplin à la réflexion entamée dès 1983 par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) sous l’égide du premier ministre norvégien Brundtland et qui aboutira finalement en 1987 à la publication du célèbre document Notre avenir à tous.
La figure 1 montre que parallèlement au passage de l’approche sectorielle et locale à une approche globale et intégrée des questions environnementales, se déroule également le passage d’une approche « environnementaliste » à une approche « développementaliste » de ces questions. En résumé, les approches locale, sectorielle et environnementaliste sont des approches traditionnelles de la gestion environnementale qui évolue vers un modèle de développement durable, donc d’une approche « durable » caractérisée par une forme de gestion environnementale à la fois globale, intégrée et développementaliste (Sène, 2008).
Du point de vue méthodologique, nous présenterons des données et des écrits relatifs aux questions de biodiversité et de développement durable dans un cadre international. La CDB et les protocoles qui lui sont associés sont étudiés afin de comprendre ses avancées et ses limites. L’étude des indicateurs et des statistiques sur le développement durable au cours des dernières années, appuyée par une revue de la littérature permet de faire le point sur les résultats de son application et sur ses enjeux sous l’angle des rapports Nord-Sud. Ces ressources documentaires sont également croisées avec des données recueillies sur le terrain, notamment au Sénégal par observation et par recueil de documents de novembre 2014 à décembre 2015.
Résultats de l’analyse : avancées et limites de la Convention sur la diversité biologique
La Convention sur la diversité biologique (CDB) est l’un des dispositifs internationaux les plus élaborés sur la question de la conservation et de l’utilisation durable de la biodiversité. Or, en dépit de ces progrès, elle présente des défis sur le partage des avantages et sur la répartition des bénéfices tirés de la biodiversité. Pourtant, l’essentiel de ses principes défendent les valeurs de l’équité environnementale. Selon Klemm et Shine (1998), la CDB comprend 4 catégories d’obligations spécifiques (Tableau 1) : (1) reconnaissance de la souveraineté des États; (2) obligation de conservation et d’utilisation durable; (3) obligation relative à l’accès aux ressources et à la technologie; (4) obligations financières. Ces obligations défendent théoriquement les valeurs de l’équité environnementale à l’échelle internationale. Cependant, il convient de préciser que la CDB comprend également d’autres dispositions générales comme la recherche et la formation (article 12), l’éducation et la sensibilisation du public (article 13), l’échange d’informations (article 17) et la coopération technique et scientifique (article 18).
Reconnaissance de la souveraineté des États, mais avec des restrictions
La CDB est précédée par le célèbre rapport Notre avenir à tous de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (1987) qui suggérait que les États devraient envisager la possibilité de conclure une convention qui devrait préciser la notion de diversité des espèces et des gènes comme patrimoine commun (Klemm et Shine, 1998 : 33-34). Sachant que la biodiversité est un bien essentiellement concentré dans les pays les moins avancés du Sud (Sène, 2010), on pourrait aisément remettre en cause l’existence d’un principe d’équité ou de justice de cette déclaration de la Commission si l’on sait que, par exemples, les ressources pétrolières du Golfe ou les médicaments fabriqués au Nord ne sont pas déclarés patrimoine commun de l’humanité.
Sur ce point, la CDB a connu une avancée puisqu’elle a proposé l’abandon de la notion de patrimoine commun de l’humanité et la reconnaissance de la souveraineté des États dans son article 3, même s’il faut reconnaître cependant que ce droit de souveraineté des États sur l’usage de leurs ressources n’est guère absolu. En effet, les acteurs internationaux contribuent fortement à la gouvernance des ressources de la biodiversité du Sud (photos 1 à 3). Par exemple, pour la Réserve de Biosphère transfrontière du delta du fleuve Sénégal, le programme COMPACT (Community Management of Protected Areas Conservation), financé par le Fond pour l’environnement mondial (FEM), a mobilisé pour un cycle de deux ans, plus du double des budgets de fonctionnement de la réserve attribué par l’État (ROCCB, 2012).
Le programme COMPACT est une initiative du Programme de micro financements du Fonds pour l’environnement mondial (PMF/FEM). Son but est de promouvoir des activités de conservation de la biodiversité en octroyant des dons financiers aux organisations de la société civile, dont des associations et des organisations communautaires de base. La Réserve de biosphère transfrontalière du delta du fleuve Sénégal, à cheval entre la Mauritanie et le Sénégal, constitue le cadre d’intervention de COMPACT. En 2012, du côté sénégalais, sur un financement de 506 960 dollars américains par COMPACT, 59 % ont été alloués pour la préservation de l’environnement, 30 % pour la gestion et 11 % pour l’appui aux activités génératrices de revenus (ROCCB, 2012).
Limites de l’obligation de conservation et d’utilisation durable de la biodiversité
Cette seconde obligation invite les États à améliorer et à réviser le système de réglementation de leurs ressources naturelles biologiques en vue d’assurer leur durabilité (articles 6 à 14). Cependant, deux défis à l’édification des normes de cette obligation peuvent être relevés : d’une part, la plupart des activités ou processus ne relèvent pas des compétences des autorités nationales de la conservation ou de la protection de l’environnement; d’autre part, il y a peu de pays qui possèdent une législation permettant de réglementer et de gérer ces processus et activités.
Toutefois, la CDB constitue une avancée significative par rapport aux autres dispositifs de gestion environnementale de la biodiversité. En comparaison par exemple avec la création des aires protégées, la CDB semble mieux répondre aux principes d’équité et de justice intragénérationnelles, donc de développement durable. Plusieurs travaux concernant les aires protégées (Depraz, 2012 ; Rodary, 2008 ; Guyot et Mniki, 2008) ont montré les inégalités sociales, notamment entre le Nord et le Sud (encadré 1), mais également les processus d’expropriation des populations locales (photos 4 et 5) dont elles sont responsables.
Encadré 1 : Différences d’enjeux des aires protégées entre le Nord et le Sud
- Au Nord, l’autonomie des gestionnaires nationaux ou locaux a des impacts sur leur choix en matière d’aménagement et de planification des actions de conservation.
- Au Sud, en revanche, les principes de la gouvernance des aires protégées dépendent beaucoup de l’autorité des acteurs internationaux de la conservation de l’environnement (photos 1 à 3).
- Les préoccupations et les objectifs de ces organismes (plus soucieux de la conservation) peuvent être contradictoires avec les droits fondamentaux et les intérêts des populations locales (photos 4 et 5).
Pourtant, la création des aires protégées, avec tout ce qu’elle comporte comme critiques, continue malgré tout de prendre de plus en plus d’ampleur (tableau 2). En effet, à la lumière de ces données, on constate une augmentation des superficies d’aires protégées mondiales d’environ 60 % et presque un quadruplement de leur nombre depuis 1992. Ce constat pose le problème de l’application des principes de durabilité introduits dans le dispositif de gestion de la CDB. D’autant plus que récemment, l’adoption du Plan stratégique Aichi 2011-2020 lors de l’année internationale de la biodiversité en 2010 propose la création d’aires protégées sur 15 % de la superficie du milieu terrestre.
Limites de l’obligation relative à l’accès aux ressources et à la technologie
La CDB reconnaît les droits des États sur les ressources génétiques animales et végétales relevant de leur juridiction (articles 15, 16 et 19). En effet, l'Accès aux ressources génétiques et le Partage juste et équitable des Avantages découlant de leur utilisation (APA) constitue le troisième objectif de la CDB. Ce principe est conçu pour garantir un partage des coûts et des avantages de la conservation de la biodiversité entre les pays développés et les pays en développement et de soutenir les pratiques et innovations des communautés autochtones et locales. La CDB cherche ainsi à corriger le déséquilibre qui a traditionnellement permis le libre accès aux ressources génétiques sauvages des pays pauvres du Sud, alors même que les applications commerciales basées sur ces ressources et réalisées par les pays riches du Nord bénéficiaient d’un accès limité conformément au régime de la propriété intellectuelle.
Dans l’optique d’assurer une meilleure application de ce principe, a été mis en place en 2010 le Protocole de Nagoya sur les APA relatif à la CDB. Ce Protocole, un cadre contraignant qui adopte une approche basée sur l’économie de marché pour valoriser la biodiversité, est une étape essentielle de la mise en application de la CDB. Il exige la traçabilité des recueils d’échantillons et des connaissances traditionnelles associées. Ainsi, tout accord sur les ressources génétiques nécessite un consentement préalable en connaissance de cause (CPCC) des fournisseurs (pays en développement) et d’un contrat de partage des avantages ou conditions convenues d’un commun accord (CCCA) des utilisateurs (pays développés). Ces exigences, mentionnées aux articles 5 et 6 du Protocole, accroissent la sécurité juridique et la transparence pour les utilisateurs et les fournisseurs de matériel génétique.
Néanmoins, des difficultés subsistent sur la mise en œuvre du Protocole, notamment celles liées aux capacités institutionnelles et législatives de plusieurs pays pour traiter la complexité de l’APA. En fait, l’application du Protocole implique une expertise interdisciplinaire relative aux droits de propriété intellectuelle, à la conservation de la biodiversité, aux affaires, au commerce, à l’économie, à la biotechnologie, au droit national et international, aux questions sociales et culturelles ainsi qu’à d’autres questions. Or, une telle expertise est rare dans plusieurs pays, surtout ceux en développement du Sud (Greiber et al., 2014).
Par ailleurs, au cas où les connaissances traditionnelles sont détenues par différentes communautés autochtones et locales et situées dans différents pays, une approche bilatérale de l'APA comme suggérait par la CDB (article 15) peut apparaître à certains comme injuste, car elle donne le droit de recevoir tous les avantages à un État fournisseur unique. Sur ce point, le texte du Protocole est imprécis sur sa mise en œuvre : son article 10 demande d’examiner la « nécessité » d’un mécanisme multilatéral mondial de partage des avantages (Boumezbeur, 2013).
Limites des obligations financières
L’obligation financière, mentionnée dans l’article 20 de la CDB, constitue une avancée significative, du moins sur le plan théorique. Pour la première fois dans un traité mondial relatif à la biodiversité, la CDB établit une relation juridique entre les obligations de conservation des Parties qui sont des pays en développement et les obligations financières des Parties qui sont des pays développés.L’article 21 prévoit la mise en place d’un mécanisme de financement ayant pour but de fournir aux Parties, qui sont des pays en développement, des ressources financières, sous forme de dons ou à des conditions de faveur. Ceci afin d’assurer un partage équitable des bénéfices internationaux tirés des efforts de conservation de la biodiversité. Ce mécanisme, comptable envers la Conférence des Parties, est dirigé par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM).
Les dispositifs financiers de la CDB constituent également une véritable source de financement pour la conservation des aires protégées et le développement socio-économique des communautés riveraines des parcs (Robinson, 2015). Par exemple, le LifeWeb est créé par la CDB afin de faciliter le financement des aires protégées et la mise en œuvre du Plan stratégique pour la biodiversité 2011-2020. Au Sénégal, le FEM participe activement au financement de la conservation des aires protégées (Photos 6 à 9).
En dépit de ces efforts, les besoins en financement de la conservation de la biodiversité ne sont pas encore couverts. En effet, les dépenses actuelles estimées à environ 53 milliards de $ US par an (Parker et al., 2012) sont loin de couvrir les besoins annuels récemment évalués à plus de 150 milliards de $ US (Sukhdev et al. 2012). Le Protocole de Nagoya, malgré ses dispositifs incitatifs sur le plan financier, n’est pas assez précis et contraignant sur son article 9 relatif à l’affectation des avantages partagés à la conservation de la biodiversité. Ainsi, les Parties disposent d’une importante marge de manœuvre sur l’utilisation et la répartition des versements financiers. Comme le rapportent Pirard et Lapeyre (2016), dans la pratique, les États et les entreprises du Nord peuvent non seulement allouer ces financements à d’autres usages que la conservation, mais également, ils peuvent se passer d’impliquer les communautés autochtones et locales des pays fournisseurs du Sud dans les procédures APA.
Bilan et perspectifs des récents accords internationaux relatifs à la biodiversité
Après l’adoption de la CDB en 1992, la Conférence des Parties à la CDB s’est réunie à plusieurs reprises (encadré 2) afin d’assurer le suivi des acquis, mais également pour relever les défis posés par la perte de biodiversité à l’échelle planétaire et d’apporter des réponses aux conflits économiques et géopolitiques de la biodiversité.
Encadré 2 : Évènements internationaux ayant suivi l’adoption de la CDB en 1992
- Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques relatifs à la conservation de la diversité biologique (2000) : évaluation des impacts culturels, environnementaux et sociaux sur des sites sacrés et sur des terres ou des eaux occupées ou utilisées traditionnellement par des communautés autochtones et locales (ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, 2011).
- Sommet mondial sur le développement durable à Johannesburg (2002) : mis en place des APA pour l’horizon 2010.
- Année internationale de la biodiversité (2010) : adoption du Protocole de Nagoya par la 10e Conférence des Parties (COP10).
- Sommet sur le développement durable à Rio (2012).
- Application de la CDB à la réalisation des cibles de 2015 pertinentes des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD)
Limites du Protocole de Nagoya et des objectifs d’Aichi
Le Protocole de Nagoya constitue une avancée significative dans les négociations qui ont jusqu’ici opposé les pays du Nord et du Sud. Il repose sur les Accès aux ressources génétiques et au Partage juste et équitable des Avantages découlant de leur utilisation (APA) et sur le respect des règles nationales et contractuelles. Cependant, il est confronté à certains défis. Son caractère peu contraignant en matière de conservation, la dualité entre le système international de droits de propriété intellectuelle et les exigences d’équité de la CDB, l’absence de cadre réglementaire régissant l’APA à l'international dans plusieurs pays en développement sont autant de facteurs qui limitent les espoirs mis dans le Protocole de Nagoya (Pirard et Lapeyre, 2016; Boumezbeur, 2013).
L’année internationale de la biodiversité en 2010 a permis également d’adopter le Plan stratégique Aichi 2011-2020 avec 20 objectifs pour l’horizon 2020 dont la finalité est de répondre aux objectifs de conservation et d’utilisation durable de la biodiversité. L’événement de cette année 2010 comporte également un accord pour la création d'un groupe intergouvernemental d’experts sur la biodiversité (IPBES), un équivalent du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Cependant, sa proposition de création d’aires protégées sur 17 % des zones terrestres et d’eaux intérieures et 10 % des zones marines et côtières ne fait que nourrir le débat sur les oppositions d’enjeux entre le Nord et le Sud sur cette question. Par ailleurs, le Plan stratégique adopté est non contraignant et les propositions de financement qu’il évoque sont relativement imprécises. Il en découle que dans la plupart des pays en développement, le volontarisme des politiques nationales en matière de préservation de la biodiversité se heurte régulièrement au manque de moyens financiers.
Au Sénégal par exemple, le cinquième rapport sur la mise en œuvre de la CDB stipule que les difficultés liées à l’identification des sources de financement, les faibles capacités pour la mobilisation des ressources financières et l’inexistence de mécanismes de financement durable constituent des contraintes à la mise en œuvre des actions de conservation et d’utilisation durable de la biodiversité et à l’atteinte des objectifs d’Aichi (ministère de l’Environnement et du Développement durable, 2014).
De même, le rapport de la quatrième édition des Perspectives mondiales de biodiversité (PMB-4), qui est une évaluation à mi-parcours des progrès accomplis dans la mise en œuvre du Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020, montre également les défis soulevés par les objectifs d’Aichi. Il indique que si les interventions concrètes par rapport aux questions relatives à la biodiversité sont en hausse, les projections pour les indicateurs relatifs aux pressions exercées sur la biodiversité sont également une hausse. De même, les projections concernant la situation de la biodiversité montrent une détérioration significative entre 2010 et 2020. Ainsi, même si des meures encourageantes ont été prises aussi bien au Nord qu’au Sud pour contrer la perte de biodiversité, l’examen à mi-parcours indique clairement que si leur trajectoire actuelle se maintient, elles ne suffiront pas pour réaliser la plupart des objectifs d’Aichi pour la biodiversité dans les délais prévus (Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique, 2014 : 129).
Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) : de l’atteinte des objectifs quantitatifs à l’accroissement des inégalités
La déclaration du Millénaire avait défini huit objectifs qualifiés d’OMD : 1) éradiquer l’extrême pauvreté et la faim ; 2) assurer l’éducation primaire pour tous ; 3) promouvoir l’équité du genre et l’autonomisation des femmes ; 4) réduire la mortalité infantile ; 5) améliorer la santé maternelle : 6) combattre le VIH/SIDA, le paludisme et les autres maladies ; 7) assurer un environnement durable ; 8) et mettre en place un partenariat mondial pour le développement. En somme, la capacité à éradiquer la faim et la pauvreté et à améliorer la santé infantile et maternelle dépend de l’accès durable à l’eau potable, à la nourriture, aux médicaments et aux matières premières offertes par la biodiversité. Ainsi, la préservation de la biodiversité constitue un impératif et une condition essentielle pour l’atteinte des OMD, notamment l’OMD7 portant sur la durabilité environnementale. Le rapport des OMD (ONU, 2015) indique qu’entre 1990 et 2014, le pourcentage des aires protégées mondiales passe de 8,7 % à 15,2 % des zones terrestres et des eaux intérieures alors que 8,4 % des zones marines côtières sont protégées. À ce rythme, selon les projections du rapport, les objectifs d’Aichi en termes de couverture mondiale d’aires protégées seront atteints en 2020. Il importe toutefois de noter que les efforts sont très inégalement répartis à l’échelle planétaire où les régions en développement consacrent 15,7 % de leurs zones terrestres et eaux intérieures en aires protégées contre 14,4 % pour les régions développées. Certaines régions en développement comme l’Amérique latine et les Caraïbes ont même vu leur pourcentage atteindre jusqu’à 23,4 % en 2014.
Ces résultats relancent le débat sur les disparités en matière de coûts pour la protection de l’environnement dans les différentes régions du monde. Il apparaît une différence nette dans les formes de lutte pour la protection de l’environnement entre les régions du Nord et celles du Sud. Tandis que les régions riches du Nord (Amérique du Nord, Europe, certaines régions asiatiques) intègrent d’avantage le volet environnemental dans les activités économiques et commerciales largement prioritaires, les régions en développement du Sud (notamment l’Amérique latine et l’Afrique) mènent des politiques de conservation de l’environnement largement inspirées des organisations internationales et réduisant ainsi leur possibilité de développement économique. Par ailleurs, les aires protégées pausent d’énormes défis en termes de gouvernance. Plusieurs aires protégées en Afrique se singularisent par des conflits qui sont souvent liés aux choix de leur territoire d’ancrage et à leur modalité de zonage ou d’aménagement (Giazzi et Morel, 2003).
Au Sénégal, par exemple, l’objectif 7B consistant à réduire la perte de biodiversité et atteindre, d’ici à 2010, une diminution significative du taux de perte n’a pas été atteint (ministère de l’Environnement et du Développement durable, 2014) à cause principalement des difficultés de gestion des aires protégées. Sur le terrain, plusieurs aires protégées sont confrontées à des difficultés financières qui ne permettent pas de satisfaire aux besoins d’aménagement, d’entretien des infrastructures et de mobilisation de personnel qualifié et suffisant pour assurer la surveillance des sites. Par rapport à cette situation, la tendance actuelle est l’orientation vers une mode de gestion public-privé (parcs nationaux du Delta du Saloum et des Oiseaux du Djoudj, réserves de Bandia et de Fathala).
Ce nouveau mode de gouvernance, s’il permet de trouver des alternatives de financement, soulève cependant de nombreuses controverses et tensions : les populations riveraines souvent très dépendantes de ces écosystèmes se sentent expropriées et appauvries au profit d’acteurs étrangers. Par ailleurs, les acteurs privés, souvent motivés par des profits monétaires (investissement dans l’écotourisme, la chasse, la réduction d’impôts et de taxes), relèguent au second plan les avantages sociales et écologiques des aires protégées (photos 10 à 12).
Dans le cadre du Protocole d’Accord signé entre l’État du Sénégal et l’Organisme privé pour la gestion d’une forêt du parc (6000 ha), le premier concède au second une exploitation touristique exclusive de l’Île aux oiseaux et de l’Île Léba. Ce contrat de concession signé en avril 2000 d’une durée de 30 ans renouvelable se singularise par son article 16 qui stipule que pour les cinq premières années, l’organisme privé s’engage à verser, à l’État, seulement, une redevance annuelle d’environ 1 600 $ US ainsi qu’une allocation annuelle globale d’environ 670 $ US aux collectivités locales concernées. Même si l’article prévoit de réévaluer la redevance et l’allocation tous les 5 ans pour une hausse de 20 %, la faiblesse de la compensation financière de l’organisme privé est perçue par plusieurs acteurs locaux comme une injustice qui exacerbe les tensions et les inégalités sociales autour de l’aire protégée.
Au final, il importe de préciser que même si la CDB et les Protocoles qui lui sont associés présentent des défis, il faudrait en revanche mentionner que les multiples efforts réalisés depuis sa mise en place en 1992 ont généré des progrès notamment sur les aires protégées, sur les APA et les stratégies et plans d’action nationaux pour la diversité biologique. Ces progrès pourraient être améliorés avec ces principales recommandations :
- renforcer la coopération technique et scientifique entre les différentes Parties membres de la Convention du Nord comme du Sud;
- augmenter le renforcement des capacités des Parties membres surtout celles du Sud;
- augmenter le financement global lié à la biodiversité.
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En complément
Site Internet officiel de la Convention sur la diversité biologique
Le 22 mai, Journée internationale de la diversité biologique
Comment citer ce texte ?
Sène, A. M. (2016). « La Convention sur la diversité biologique: des défis du développement durable à l'opposition d'enjeux entre le Nord et le Sud ». Dans GAGNON, C. (éditrice). Guide québécois pour des Agendas 21e siècle locaux : applications territoriales de développement durable viable, [En ligne] http://demarchesterritorialesdedeveloppementdurable.org/convention-sur-la-diversite-biologique/ (page consultée le jour mois année).
Dernière modification: 19 décembre 2016