Comment définir les visées d'une démarche et les principes d'action
Après de nombreuses années d’accompagnement de démarches de développement avec les communautés par le biais de différentes approches de recherche, il est apparu clairement que les gens engagés dans de telles démarches ne prenaient pas le temps de s’arrêter, que ce soit en début de projet ou au cours de leur démarche, pour se donner une vision commune de ce qu’ils veulent accomplir, notamment sur les valeurs qui sous-tendent leur action. Généralement, ils se donnent une finalité lointaine et identifient les moyens concrets pour y arriver. Ils s’arrêtent rarement à réfléchir sur leurs hypothèses de changement ou les principes qui animent leurs actions. C’est ce constat qui nous a amenés à développer un atelier permettant à tout groupe engagé dans une initiative commune de mettre au jour les points de vue de chacun sur l’action et de développer, collectivement, leur théorie de l’action.
Mise en contexte et pertinence de l'action
L'objectif de l’activité est de permettre à un groupe de développer une vision commune de ce que les membres veulent faire ensemble. Il peut-être utile à tout groupe engagé dans une démarche collective peut définir sa théorie de l’action.
Qu’est-ce qu’une théorie de l’action ?
Le terme « théorie » désigne ici toute intention derrière l’action (comment on se l’explique, comment on y arriverait?). Elle se construit à partir des hypothèses de travail, des stratégies et des principes qui servent à orienter les actions. C’est l’ensemble des croyances, des valeurs, du savoir faire et du savoir être des acteurs terrain.
Il ne s’agit donc pas d’un plan d’action, c’est-à-dire l’articulation des actions et des moyens déployés pour atteindre un objectif, mais plutôt des visées d’une démarche et des principes d’action qui la sous-tendent. La théorie de l’action se construit à partir d’une mise en commun des visées individuelles qui permet de définir une vision commune de ce qu'il y a à faire ensemble.
À quoi cela sert-il ?
Définir cette vision commune permet :
- de développer un langage commun sur le projet ou la démarche, donc de donner une vision d’équipe à partir des points de vue de chaque membre ;
- de préciser comment on veut travailler ensemble au sein du groupe et avec d’autres partenaires selon le cas ;
- de préciser les grandes étapes de la démarche collective ;
- d’identifier certains moyens d’intervention ;
- de fournir un cadre pour l’évaluation cadre, qui reflète ce que le groupe veut réellement faire.
Comment se déroule cette démarche?
La réalisation d’une théorie de l’action s’organise en trois temps :
- Atelier 1 : Les visées de la démarche
Cette étape vise à établir les principales visées de la démarche. Il ne s’agit pas ici des objectifs liés à des actions concrètes, mais plutôt de préciser la conception globale de ce que le groupe veut accomplir à travers sa démarche collective. Cette partie de l’exercice devrait permettre d’identifier deux ou trois grandes visées communes au groupe. - Atelier 2 : Les étapes pour y arriver
À partir des visées définies à la première étape, il s’agit de préciser comment le groupe pense y arriver, c’est-à-dire les moyens envisagés et les étapes par lesquels le groupe pense devoir franchir avant d’arriver là où il veut aller. Cette étape devrait permettre de construire, à proprement parler, la théorie de l’action du groupe. - Atelier 3 : La validation de la théorie de l’action
À partir des éléments définis au cours des deux étapes précédentes, il sera possible de construire un modèle graphique de la vision commune du groupe. Cette troisième étape doit permettre de dire si ce modèle convient au groupe et d’y apporter les ajustements nécessaires. La démarche de définition d’une théorie de l’action devrait être terminée après cette étape. Cependant, « terminée » ne signifie pas nécessairement « définitive ». En effet, au cours de la démarche, plusieurs facteurs (contexte politique, changement de partenaires) peuvent venir modifier la donne et réorienter la démarche. Il peut donc être intéressant, si besoin est, de revalider la théorie de l’action et, peut-être, de la modifier.
Les ateliers
Le rôle de l’animateur est de guider la discussion, mais il peut aussi aider à la formulation lorsque le groupe piétine, son regard neutre aidant souvent à atteindre un consensus.
Les ateliers 1 et 2 peuvent être réalisés la même journée selon le temps dont dispose le groupe et le degré d’approfondissement désiré. Toutefois, l’expérience a montré qu’il est utile de laisser au moins quelques jours entre les deux exercices, parce que cela permet aux participants de poursuivre leur réflexion.
Atelier 1 : les visées de la démarche
Objectif de l’atelier : définir trois visées qui constitueront les fils conducteurs de la théorie de l’action.
Durée : environ 2 heures 30 minutes
Préparatifs individuels des participants avant l’atelier
Il est utile que chaque participant prenne un moment, avant l’atelier, pour réfléchir à ses visées personnelles au regard de la démarche du groupe et de colliger celles-ci sur la fiche prévue à cet effet (outil 1).
Matériel nécessaire pour l’animation
- des petits cartons d’une même couleur d’environ 8½ x 5½ pouces (en prévoir trois par participants et quelques uns en surplus) ;
- trois cartons 8½ x 11 pouces de même couleur, mais de couleur différente des premiers ;
- des feutres (au moins un par participant); comme ces crayons seront très utilisés tout au long de l’atelier, il est bon de prévoir des feutres inodores ;
- de la gommette ;
- un grand mur vide sur lequel on peut fixer les cartons.
Déroulement de l’atelier
Le temps prévu ici l’est pour moins d’une dizaine de participants. Si le groupe est plus important, prévoir un peu plus de temps pour les étapes 2 et 3.
- Étape 1 : Présentation de la démarche ou de la philosophie que vous voulez implanter (20 minutes)
Il peut être utile d’informer ou de rappeler, selon le cas, les grandes lignes de l’approche qui anime ou que l’on veut implanter (par exemples, expliquer ce qu’est la philosophie Villes et Villages en santé, l’approche milieu d’un Centre de santé et des services sociaux ou toute autre approche privilégiée par le groupe). - Étape 2 : Rédaction individuelle des visées (15 minutes)
À cette étape, tous les participants doivent avoir complété l’outil 1. Si quelques personnes n’ont pas eu le temps de le faire, leur laisser quelques minutes pour identifier leurs trois visées. On demande ensuite à tous les participants de transcrire chacune de leurs visées sur un carton. - Étape 3 : Affichage des visées (15 minutes)
Au fur et à mesure que les participants ont inscrit leurs visées, l’animateur colle les cartons au mur. Il lit ensuite chacune des visées. Une demande de précision peut être nécessaire pour comprendre une formulation, mais la discussion ne s’engage pas tout de suite. Il n’est pas nécessaire que les visées soient identifiées à leur auteur, il peut même être utile, dans certains cas, que les visées demeurent anonymes. - Étape 4 : Regroupement des visées (30 minutes)
Les participants tentent ensuite de regrouper les visées qui se ressemblent ou qui ont des éléments communs. L’animateur doit s’assurer qu’il n’y ait pas d’éléments intéressants perdus dans cette démarche, car il arrive parfois que l’essence d’une visée soit diluée en la regroupant avec d’autres. Certaines visées peuvent être très différentes des autres, elles sont alors mises en retrait. On peut aussi revenir sur la classification d’une ou l’autre visée en cours de route.
Pause : 15 minutes
- Étape 5 : Définition des visées communes (45 minutes)
Généralement, l’exercice qui précède amorce la discussion sur les visées. Il s’agit donc ici de poursuivre les échanges, mais en tentant de formuler une seule visée pour chacun des groupes de visées. L’idée est d’arriver à une formulation qui fasse consensus. Généralement, on arrive à identifier deux ou trois visées. Celles-ci sont alors transcrites sur les cartons prévus à cet effet (de couleur différente de ceux utilisés par les participants). Selon le temps dont on dispose, il est intéressant d’en avoir trois plutôt que deux parce que cela permet d’approfondir la réflexion.Les visées qui avaient été mises de côté au départ, parce que trop différentes, peuvent être revues à la fin pour voir s’il est nécessaire de les conserver. Elles peuvent aussi être pensées comme des objectifs d’action qui pourraient être plus utiles lors de la confection d’un plan d’action.
Atelier 2 : les étapes pour y arriver
Objectif de l’atelier : identifier les étapes qui conduisent à chacune des visées définies dans l’atelier 1. Il s’agit en fait des chemins que l’on pense devoir prendre pour atteindre une visée, ces chemins constituant l’essence même de la théorie de l’action.
Durée : Environ 2 heures 30 à 3 heures au minimum. Selon l’intérêt du groupe à approfondir la question et la disponibilité de ses membres, cet exercice peut s’étaler sur plusieurs demi-journées.
Préparatifs individuels des participants avant l’atelier
Réfléchir sur les étapes à franchir pour atteindre chacune des visées et compléter une fiche (outil 2) pour chaque visée.
Matériel nécessaire pour l’animation
- environ 50 petits cartons de même couleur (8½ x 5½ pouces) (de couleur différente de celle des trois cartons suivants) ;
- les trois cartons sur lesquels sont inscrits les visées (atelier 1) et un carton de même couleur sur lequel on écrira : « situation de départ » ;
- quelques feutres inodores ;
- de la gommette ;
- de grandes feuilles de papier (le papier d’emballage brun fait l’affaire) pour couvrir le mur sur lequel on travaillera.
Déroulement de l’atelier
Choisir un première visée avec laquelle travailler.
- Étape 1 : Définition individuelle des étapes (15 minutes)
Vérifier avec les participants s’ils ont pu compléter la fiche (outil 2) avant l’atelier. Si tous l’ont fait, passer à l’étape 2, sinon, laisser le temps aux participants de le faire. - Étape 2 : Partage des points de vue individuels (10 minutes)
Chaque participant présente aux autres les étapes qu’il juge importantes pour atteindre la première visée soit ce qu’il a consigné sur la fiche 2. - Étape 3 : Construction du chemin collectif (30 à 45 minutes)
Il s’agit ici de construire le chemin regroupant l’ensemble des étapes jugées nécessaires pour atteindre la visée. Pour ce faire, on peut commencer par l' une ou l’autre des questions suivantes : Quelle est la chose la plus importante qui doit être faite pour atteindre la visée en question? Quelle est l’étape importante qui doit être franchie pour atteindre cette visée? Au fur et à mesure, on écrit les réponses sur un carton et on les place au mur, à l’endroit qui semble le plus approprié en fonction du moment où l’on pense qu’il doit s’insérer dans le chemin qui mène à la visée. Généralement, le premier énoncé est placé au milieu, mais il peut être déplacé par la suite.
On procède ainsi de suite avec les autres énoncés, toujours en se posant la question : à quel moment cette étape s’insère-t-elle par rapport à celles déjà identifiées ? Au fur et à mesure que le chemin se construit, on peut déplacer les énoncés et les reformuler.
L’idée de travailler sur un mur couvert de papier est de permettre de faire des liens entre les énoncés pour construire le chemin : il ne faut donc pas se gêner pour dessiner des flèches ou autre liens sur le papier.
Parfois aussi, certains énoncés ne s’insèrent pas nécessairement dans le chemin, bien qu’ils soient en lien avec un autre énoncé. On peut alors le mettre en retrait avec une flèche qui le lie avec l’énoncé correspondant.
On reprend ensuite les étapes 1 à 3 pour les deux autres visées.
Dans certains cas, les chemins définis ne sont pas parallèles, mais s’enchaînent les uns aux autres selon des modèles différents.
Exemple d’une théorie de l’action
© RQVVS
Atelier 3 : la validation de la théorie de l'action
Objectif de l’atelier : Valider la théorie de l’action définie par les membres du groupe. Selon le niveau de détail et de profondeur atteint par le groupe, la théorie de l’action peut parfois prendre une forme graphique complexe. Par ailleurs, il se peut que ce soit l’animateur de l’activité qui ait la tâche de mettre en forme la version finale de la théorie de l’action. Ainsi, malgré que ce soit les membres du groupe qui aient construit leur théorie de l’action, il est fort utile de se réunir pour commenter et valider le produit fini.
Durée : Environ 1 heure à 1 heure 30 selon le groupe.
Préparatifs individuels des participants avant l’atelier
Prendre connaissance de la forme finale de la théorie de l’action
Étape de réalisation
Laisser les membres du groupe s’exprimer sur la figure finale, et voir s’il est nécessaire d’apporter des correctifs.
Cette activité peut être l’occasion de décider des suites à donner à cet exercice de création d’une théorie de l’action : plan d’action, questions d’évaluation, etc.
Les outils pour de donner une vision commune de notre démarche
Outil 1 : Déterminer les visées de la démarche
« Pour moi, notre démarche devrait viser les visées suivantes… »
Attention ! Il s’agit ici de définir les visées générales du projet. Ces visées doivent nommer les principes ou les valeurs qui, selon vous, sous-tendent vos actions, notamment en ce qui a trait à la question : « Comment allons-nous travailler ensemble ? ».
Outil 2 : Déterminer les étapes pour atteindre ses objectifs
Il s’agit ici de préciser les étapes qui vous jugez nécessaires pour atteindre l’objectif, pas nécessairement les moyens concrets mais, en quelque sorte, les façons d’être ou de faire à privilégier.
Que retenir ?
La théorie de l'action permet :
- de développer une vision commune ;
- de développer un langage commun ;
- de préciser la manière de travailler au sein d'un groupe ;
- de préciser les grandes étapes de la démarche collective ;
- d’identifier certains moyens d’intervention ;
- de fournir un cadre pour l’évaluation.
L'auteure remercie Ginette Paré et Diane Champagne
Outil développé dans le cadre de la recherche
« Évaluation d’initiatives de développement avec les communautés. 2004-2007 »
réalisée par la Direction de santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue, l’Institut national de santé publique, le Réseau québécois de Villes et Villages en santé, l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et l’Université Laval à l’aide d’un financement de la Fondation Lucie et André Chagnon
Comment citer ce texte ?
SIMARD, P. (2007). « Développer une théorie de l’action pour une démarche communautaire. Comment définir les visées d’une démarche et les principes d’action ». Dans GAGNON, C. (Éd) et E., ARTH (en collab. avec). Guide québécois pour des Agendas 21e siècle locaux : applications territoriales de développement durable viable, [En ligne] http://www.demarchesterritorialesdedeveloppementdurable.org/9546_fr.html (page consultée le jour mois année).
Sites Internet
Réseau québécois des villes et villages en santé
En complément
La vision stratégique
L'élaboration d'un plan d’action A21L
Dernière modification: 19 février 2014