Droit et développement durable (DD) au Québec

 

Résumé
Le concept de développement durable fait maintenant partie de plusieurs législations (fédérales et québécoises). La Loi sur le développement durable, adoptée par l'Assemblée nationale en 2006, affirme même que la gouvernance de l'Administration québécoise est fondée sur le développement durable. Le présent texte vise à donner des exemples afin d'illustrer la portée et l'étendue des principes énoncés dans cette loi, laquelle contribue largement à structurer l'Administration québécoise.

Quels liens entre le droit et les principes québécois de développement durable?

Le droit a un impact important sur notre vie en société. Il se traduit souvent par l’adoption de mesures législatives qui assujettissent des personnes à des normes de comportement ou qui imposent des processus décisionnels à des organismes. D’ailleurs, la Charte canadienne des droits et libertés précise que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la « primauté du droit ».

Le Canada est une fédération où il y a un partage des champs de compétence, c’est-à-dire une capacité de légiférer sur un certain nombre de matières, entre deux ordres de parlement : le Parlement fédéral et les parlements provinciaux dont le Québec. Chaque ordre de parlement a adopté une loi sur le développement durable. Au Canada, nous avons donc une Loi fédérale sur le développement durable (2008) qui a trait aux champs de compétence fédéraux et une loi québécoise (Loi sur le développement durable, 2006) définissant les champs de compétence provinciaux.

C’est donc par l’adoption de lois que le droit manifeste principalement sa relation avec le développement durable.

De façon générale, quel est le contenu de la Loi québécoise sur le développement durable?

D'entrée de jeu, l’Assemblée nationale du Québec affirme que la « gouvernance » de l’Administration québécoise est fondée sur le concept de développement durable qu’elle définit comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». (art.2)

L’objet même de la loi québécoise est d’instaurer un « nouveau cadre de gestion » au sein de l’Administration, soit le gouvernement, les ministères et les sociétés d’Éta,t afin que l’exercice de ses pouvoirs et de ses responsabilités s’inscrive une démarche de développement durable. L’Assemblée nationale ajoute que les mesures prévues dans sa loi visent plus particulièrement « à réaliser le virage nécessaire au sein de la société face aux modes de développement non viable ».

Quand au concept de développement durable, il « s’appuie sur une vision à long terme qui prend en compte le caractère indissociable des dimensions environnementale, sociale et économique des activités de développement ».

Quels sont les moyens identifiés pour atteindre les objectifs fixés dans la Loi sur le développement durable au Québec?

Le moyen fondamental retenu c’est l’encadrement des processus décisionnels de l’Administration québécoise. Celle-ci devra tenir compte d’un certain nombre de principes avant d’en arriver à des décisions formelles. D’ailleurs, l’article 6 de la Loi sur le développement durable au Québec (ci-après appelée « Loi ») précise que « Afin de mieux intégrer la recherche d’un développement durable dans ses sphères d’intervention, l’Administration prend en compte dans le cadre de ses différentes actions l’ensemble des 16 principes suivants… ». L’Administration doit également considérer les trois enjeux fondamentaux, les neuf orientations stratégiques et les vingt-neuf objectifs de la Stratégie gouvernementale de développement durable (2008-2013).

À même cet encadrement, l'ensemble des ministères et des sociétés d’État ont respectivement rédigé environ 150 plans d’action qui précisent les objectifs particuliers qu’ils entendent poursuivre pour « contribuer à la mise en œuvre progressive du concept de développement durable ».

Dans la mise en application du concept de développement durable, en plus des 150 plans d’action précités, citons quelques exemples, émanant de l’Assemblée nationale elle-même, du gouvernement, des tribunaux et du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), qui permettent de voir les liens entre les pratiques et les principes de la Loi :

1. Au début de sa Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (2010), l’Assemblée nationale affirme « qu’il convient de prévoir un modèle de gestion forestière qui soit axé sur de nouvelles approches d’aménagement forestier et qui tienne compte de l’impact des changements climatiques (…) ». Cette affirmation actualise les principes de santé et qualité de vie, d’équité et solidarité sociales (équité intra et intergénérationnelle) et de précaution mentionnés à l’article 6 de la Loi.

2. Le principe du « pollueur-payeur » fait partie des 16 principes prévus dans la Loi. Celui-ci est directement inscrit à l’article 4 de la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection (adoptée en 2009). Cette nouvelle législation met également de l’avant le concept d’État gardien des intérêts de la nation dans la ressource eau. Une telle affirmation est-elle porteuse de l’obligation d’une vision à long terme dans la protection et la gestion de la ressource eau? (l’obligation d’une vision à long terme est prévue à l’article 2 de la Loi).

3. En vertu de la Loi sur les contrats des organismes publics, du Règlement sur les contrats d’approvisionnement des organismes publics et du Règlement sur les contrats de services des organismes publics, un organisme public peut considérer l’apport d’une spécification liée au développement durable et à l’environnement pour la réalisation d’un contrat. L’organisme public précise alors l’exigence requise dans les documents d’appel d’offres. Ces exigences peuvent avoir trait aux principes de l’internalisation des coûts, du pollueur-payeur ou de la protection de l’environnement. Une nouvelle configuration des appels d’offres des organismes publics est prévue à cet effet.

4. Dans sa Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations (adoptée en 2006), l’Assemblée nationale crée un Fonds des générations qui est affecté exclusivement au remboursement de la dette brute. La création d’un tel fonds actualise le principe d’équité et solidarité sociales mentionné à l’article 6 de la Loi.

5. La Loi sur le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire prévoit la création pour chaque région administrative du Québec d’une conférence régionale des élus (CRÉ), d’une commission régionale des ressources naturelles et du territoire et de tables locales de gestion intégrée des ressources et du territoire. La création de ces diverses instances est une façon d’actualiser le principe de subsidiarité prévu à l’article 6 de la Loi.

6. L’avant-projet de loi intitulé Loi sur l’aménagement durable du territoire et l’urbanisme (2010), qui remplacera éventuellement l’actuelle Loi sur l’aménagement et l’urbanisme et accordera des pouvoirs spéciaux aux municipalités afin de contrer l’étalement urbain. Une telle intention législative vient actualiser les principes d’équité et solidarité sociales, de protection de l’environnement, de prévention et de précaution, prévus à l’article 6 de la Loi.

7. Dans l’arrêt Ciment du Saint-Laurent inc. (rendu par la Cour suprême du Canada le 20 novembre 2008), la Cour suprême affirme que « outre le régime général de la responsabilité civile fondé sur la faute, il y a lieu de reconnaître, en vertu de l’art. 976 du Code civil du Québec, l’existence d’un régime de responsabilité civile sans faute en matière de troubles de voisinage qui serait fondé sur le caractère excessif des inconvénients subis par la victime et non sur le comportement de leur auteur présumé ». Le plus Haut tribunal du pays ajoute qu’un tel régime de responsabilité civile, sans faute en matière de troubles de voisinage, « s’accorde également avec des considérations de politique générale, telles que l’objectif de protection de l’environnement et l’application du principe du pollueur-payeur » (p. 5 et 6 du jugement).

8. Le 15 mars 2011, à l’occasion du lancement de sa nouvelle « Politique québécoise de gestion des matières résiduelles » (2011-2016), le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs s’exprimait ainsi :

Alors qu’elle mise toujours sur le respect de la hiérarchie des 3RV-E (Réduction à la source, Réemploi, Recyclage, Valorisation, Élimination) et sur l’approche de responsabilité élargie des producteurs, la Politique propose également une démarche intégrée et vise d’importants enjeux, dont la réduction de la quantité de déchets éliminés par habitant au Québec et la gestion des matières organiques. Ainsi, la nouvelle Politique contribuera par la même occasion à l’atteinte des objectifs de plusieurs autres initiatives gouvernementales, dont le plan d’action québécois sur les changements climatiques et la stratégie énergétique du Québec. Cette politique vise à créer une société sans gaspillage qui cherche à maximiser la valeur ajoutée par une saine gestion de ses matières résiduelles, et son objectif fondamental est que la seule matière résiduelle éliminée au Québec soit le résidu ultime.

Cette nouvelle politique gouvernementale s’inscrit donc directement dans les principes « d’équité et solidarité sociales » et de « protection de l’environnement » énoncés à l’art. 6 de la Loi.

9. Dès le début de son récent rapport (février 2011) sur le « Développement durable de l’industrie des gaz de schiste au Québec », la commission d’enquête du BAPE précise qu’elle a porté une attention particulière à l’insertion du développement de l’industrie du gaz de shale dans les milieux naturel et humain en prenant en compte les seize principes énoncés à l’article 6 de la Loi sur le développement durable (p. 9).

La prise en compte des 16 principes prévus dans la Loi sur le développement durable a conduit cette commission d’enquête a proposé une évaluation environnementale stratégique. Selon elle, une telle évaluation constitue « un passage obligé, tant pour un processus de prise de décision éclairée que pour la recherche d’une meilleure acceptabilité sociale » (p. 245).

Les principes de précaution et de prévention prévus à l’article 6 de la Loi sur le développement durable sont, entre autres, touchés. Afin de favoriser une cohabitation harmonieuse de l’industrie du gaz de shale avec le milieu, la commission suggère que le ministre des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) et le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) évaluent la possibilité de confier à la commission régionale des ressources naturelles et du territoire, instituée au sein de la CRÉ de chaque région (voir ci-dessus), un mandat afin de réaliser la concertation sur les activités de l’industrie du gaz de shale. C’est ici le principe de subsidiarité qui est visé. Notons enfin que cette commission qualifie l’État québécois de « fiduciaire de la ressource naturelle » (en l’occurrence le gaz de shale). Cette expression avait d’abord été utilisée par le Vérificateur général du Québec dans son Rapport à l’Assemblée nationale pour l’année 2008-2009. Il s’exprimait ainsi :

« L’activité minière est avant tout influencée par l’entreprise privée et le marché financier. L’État est cependant tenu de jouer un rôle de fiduciaire du bien commun que sont nos ressources naturelles. Les enjeux auxquels il doit faire face sont autant d’ordre économique que social et environnemental ». (Tome 2, p. 2-7)

Le Vérificateur général du Québec et la commission d’enquête du BAPE mettent de l’avant les concepts de « fiduciaire » et de « bien commun » en lien avec le rôle de l’État québécois. Cela rejoint le concept « d’État gardien » en relation avec la protection et la gestion de l’eau (voir ci-dessus).

Notons que la Loi sur le développement durable a amendé la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise) en ajoutant l’article 46.1 qui se lit comme suit :

« Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité. »
Dans l’arrêt Municipalité de Saint-Luc-de Vincennes (2 février 2008), la Cour d’appel du Québec a déclaré que « le droit à un environnement sain a récemment été investi d’une valeur quasi-constitutionnelle puisqu’il est désormais inscrit à l’article 46.1 de la Charte des droits et libertés de la personne ». Il faudra voir dans les jugements à venir l’impact d’une telle déclaration.

La Loi sur le développement durable a également amendé la Loi sur le vérificateur général afin de créer le poste de commissaire au développement durable et d’investir celui-ci du pouvoir de recommandation ayant trait à l’application de la Loi sur le développement durable.

Mentionnons également que lorsque la Loi sur le développement durable affirme que la gouvernance de l’Administration québécoise est fondée sur le concept de développement durable, cela implique l’identification et la configuration des instruments de gouvernance, notamment en matière d’environnement. Par exemple, en matière de gestion des matières résiduelles au Québec, avec le dépôt du projet de loi 130 (octobre 2010), le gouvernement veut intégrer la société d’État Recyc-Québec dans la structure du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs. Quel est le meilleur instrument de gouvernance pour appliquer la nouvelle Politique québécoise de gestion des matières résiduelles(2011-2016)? La Société d’État Recyc-Québec ou le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs? Cette question est l’une des plus complexes en matière de gestion de la protection de l’environnement.

Il importe également de noter que la Loi sur le développement durable ne fige pas dans le temps et l’espace l’application du concept de développement durable. À plusieurs reprises, cette législation souligne l’importance d’une recherche d’un développement durable. Par conséquent, l’Assemblée nationale insiste sur l’importance de tenir compte des situations particularisées auxquelles l’Administration sera confrontée. La Loi québécoise met donc de l’avant un concept évolutif de développement durable qui laisse place à la créativité et qui prend en compte la complexité des diverses situations particularisées.

Du côté du Parlement fédéral, celui-ci a adopté en 2008 la Loi fédérale sur le développement durable. À l’instar de la Loi (québécoise) sur le développement durable, elle exige que les ministères fédéraux élaborent des plans d’actions. Cependant, contrairement à la Loi québécoise, la Loi fédérale ne contient pas une liste de principes comme celle que l’on retrouve à l’article 6 de la loi québécoise. En octobre 2010, le gouvernement fédéral a adopté une Stratégie fédérale de développement durable pour le Canada, intitulé Planifier un avenir durable.

Conclusion

Par l’adoption de sa Loi sur le développement durable, l’Assemblée nationale a donné le coup d’envoi pour l’instauration de nouveaux processus de décision dans l’Administration québécoise. L’expérience acquise par le gouvernement québécois à travers ses ministères et sociétés d’État lui permettra éventuellement d’étendre l’application de la Loi aux organismes infragouvernementaux tels que les hôpitaux, les municipalités, les universités, les collèges d’enseignement général et professionnel (CEGEP) et les commissions scolaires.

Comment citer ce texte ?

BOURQUE, Denis (2011). « Droit et principes de développement durable : quels liens? ». Dans GAGNON, C. (Éd), Guide québécois pour des Agendas 21e siècle locaux, [En ligne] http://soluss.uqac.ca/AL21/21707_fr.html (page consultée le jour mois année).

En complément

L'impact de la loi sur le DD sur le concept de développement (Bourque, 2013)

Pour aller plus loin...

Loi fédérale sur le développement durable
Plan de développement durable du Québec - Document de consultation
Loi sur le développement durable - Une loi fondamentale pour le Québec
Loi sur le développement durable du Québec
Les principes de la loi sur le développement durable du Québec
Stratégie fédérale de développement durable pour le Canada: Planifier un avenir durable

Dernière modification: 1 mars 2017

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