Kpélé-Tsiko (Togo)

 

L’Agenda 21 de Kpélé Tsiko: une démarche originale de développement local au Togo.

Résumé

La démarche Agenda 21 de Kpélé Tsiko est une première initiative en matière de planification de développement local au Togo. Ce projet a démarré en 2009 grâce à la mobilisation de l’organisation non gouvernementale internationale Jeunes volontaires pour l’environnement (ONG-JVE), les services décentralisés, un groupe de femmes et d’autres groupes représentant toutes les classes sociales du village de Tsiko.

La description du territoire et le contexte local

Situé à 150 km de Lomé, la capitale du Togo, un pays de l’Afrique de l’ouest et à 30 km de Kpalimé, une ville importante de la région, Tsiko est un village du canton de Novivé dans la préfecture de Kpélé. Cette préfecture se trouve dans le sud-ouest de la région des Plateaux. Le village de Tsiko est situé au pied des monts fétiches, possède un climat tropical humide et fait partie d’une zone écologique nationale. La végétation rencontrée est donc de type humide et semi-caducifolié. Les maximas de température varient peu, soient entre 29-32°C.

Créé vers 1825, avec la migration du peuple Éwé, principal peuple du sud Togo, le village de Tsiko est le lieu principal d’approvisionnement en eau pour les fermes qui l’avoisinent. Le village compte aujourd’hui onze  quartiers dont six autochtones, les Éwé et trois  allochtones. Deux autres quartiers, ont une population mixte.

carte

Les différentes activités économiques du village sont : l’agriculture, l’élevage, le commerce, les activités économiques de proximité et artisanales.

L'agriculture et l'elevage

L’agriculture est la principale activité économique dans le village de Tsiko. Les cultures de rente sont : le café, le cacao qui sont destinés à l’exportation, l’avocat, la banane, le palmier à huile et le bois. Elles constituent de véritables sources de revenus pour la population locale.

Les cultures vivrières comprennent le manioc, l’igname, le riz, le maïs, le haricot, les légumes. L’agriculture utilise encore des techniques archaïques et des outils rudimentaires. Elle est extensive. La population pratique également l’élevage familial des volailles, des petits ruminants, etc.

paysage du village

paysage du village

Le commerce

Le commerce concerne la vente de condiments, de repas, des produits issus de l’agriculture transformés ou non et d’articles manufacturés, tels que les appareils électroniques, dans les petites boutiques. Cette activité ne répond pas à tous les besoins du village de subsistance.

Les activités économiques de proximité et artisanales

Ce secteur regroupe la couture, la coiffure, l’entretien mécanique, la menuiserie, la sculpture, la fabrication artisanale de paniers et de claies ainsi que la préparation de boissons locales.

Les motivations et présentation de la démarche

La mauvaise gestion et la consommation effrénée des ressources naturelles de la région conduisent à la destruction  de toutes perspectives de développement territorial durable. Cela est particulièrement dû à l’absence d’objectifs préalablement identifiés et planifiés à l’échelle locale, et conséquemment d’actions  soucieuses du bien-être social, économique et environnemental.

Pour remédier à cette situation de mal développement, le village de Tsiko a décidé de définir ses objectifs de développement viable et durable à l’aide d’un outil inédit au Togo : l’Agenda 21 local (A21L).  Cette première démarche de planification stratégique représente donc un intérêt particulier à l’échelle nationale. Par ailleurs, elle permettra d’affronter tout changement brusque ou progressif et renforcer la résilience de la communauté.

Le projet a démarré avec la signature d’un accord de partenariat entre l’ONG JVE, l’initiateur de la démarche, et  la communauté de Tsiko, le bénéficiaire.

La structure de travail

La structure de travail comprend trois types de comité et une équipe d'appui technique :

Le comité technique d'élaboration (CTE) devenu le comité de pilotage (CP)

Ce comité a regroupé 21 personnes issues des ministères (de l’Environnement et des Ressources forestières, de l’Agriculture et de l’Hydraulique villageoise, de l’Énergie et celui de la Décentralisation), de l’ONG-JVE, partenaire du village, des confessions religieuses, des écoles et des services présents dans la

comité de pilotage

comité de pilotage

communauté et du Comité villageois de développement (CVD). Celui-ci est devenu, depuis 2015, le Comité de développement à la base (CDB), selon les nouvelles appellations imposées par le ministère du Développement à la base.  Ila été l’organisateur des travaux et il s’est transformé en comité de pilotage avec l’évolution de l’A21L. Il a tenu huit réunions au cours de ses activités entre 2010 et 2012.

Ce nouveau comité a pour tâche de faire le suivi et l’accompagnement des travaux et l’élaboration du document final, soit le plan d’actions. Il est à noter que tous les membres desdits comités sont des bénévoles, à l’exception de l’équipe technique recrutée par l’ONG JVE.  Entre 2011 et  2012, le CP a tenu 51 réunions. Les réunions se tiennent une fois par trimestre.

Le comité technique restreint

C’est un sous-groupe du CP. Il est composé de six volontaires, moyennant une modeste indemnité, représentant différents groupes sociaux. Ceux-ci ont été choisis par les membres du CP en concertation avec l’ONG JVE. Il s’occupe des affaires courantes liées aux activités du projet. Il a assuré le lien avec les autorités locales et les élus.

Le comité scientifique

Également composé de six personnes provenant du CP, elles ont été choisies pour leurs compétences par les membres dudit comité. Il a  plusieurs tâches: élaborer des outils de collecte d’informations, la méthodologie, la définition des plans de rapports, la formation des agents enquêteurs, la documentation, etc.

L'équipe d'appui technique

Une équipe multidisciplinaire,  soit un géographe, un anthropologue et un sociologue, a été mise à la disposition du village par l’ONG JVE. Elle a apporté un appui technique et scientifique au comité de pilotage. Cet appui s’est traduit par l’exécution de tâches collectives et spécifiques. L’équipe a travaillé sous la supervision et l’orientation d’un facilitateur. Des personnes ressources extérieures ont aussi apporté leurs contributions et compétences. Il s’est agi d’économistes, sociologues, gestionnaires, environnementalistes, politologues, juristes, agronomes, démographes, infirmiers, enseignants, etc. issus des universités, de ministères, de directions des services décentralisés de la Préfecture de Kpélé et d’autres ONG.

L’équipe d’appui technique a été renforcée par un biogéographe, une spécialiste en développement de la santé publique et durabilité dans la phase de démarrage. Ils ont été chargés respectivement de la planification énergétique du village, de la mobilisation communautaire et de la planification de l’hygiène et de l’assainissement de l’eau.

Une démarche en plusieurs étapes

Préparation du terrain (2004-2011)

Il a fallu au total sept ans de préparation de terrain pour avoir l’adhésion totale de toute la population et pour mobiliser suffisamment de ressources nécessaires pour l’exécution du projet. Cette préparation a consisté en la sensibilisation des premières autorités du village et en un sondage qui ont permis d’établir l’état des lieux, l’étude de faisabilité et la rédaction du projet de l’A21L.

Après la rédaction du projet, la recherche de moyens à mettre en place a commencé. L’ONG JVE, partenaire du projet, a été  sollicitée par le village pour la recherche de stratégies et des compétences nécessaires pour l’élaboration du plan d’actions.

La disponibilité des autorités traditionnelles, le régent du trône royal et les chefs de quartiers, pour appuyer l’élaboration du document a été une clé de la réussite du projet. De nombreuses réunions de concertation ont été organisées. La démarche a pris une tournure décisive dès décembre 2010. En huit mois, 17 réunions de concertation ont été tenues.  Un accord historique de partenariat a été signé entre l’ONG JVE et les autorités locales.

Après la signature de ce partenariat, le village a officiellement démarré l’élaboration de la démarche de l’A21L. Cinq grandes étapes ont été observées :

La sensibilisation-mobilisation et les réunions publiques

Des réunions publiques ont eu lieu en 2011, et ce dans tous les quartiers. Au cours de ces réunions, des sketchs, des exposés, des danses et des débats sur des thèmes relatifs à l’A21L ont été organisés. Des représentants de quartiers et de hameaux appelés Ambassadeurs 21 ont joué un rôle important et ont  véhiculé l’information dans leurs localités.

Des médias tels que le journal ‘‘L’Enjeu’’, le site internet de l’ONG JVE, les réseaux sociaux, la chaine de télévision privée TV2, les deux médias d’État à savoir la télévision nationale : (TVT) et radio Lomé ont relayé l’information sur le plan régional, national et international, facilitante du coup la mobilisation.

Il faut aussi noter que les Ambassadeurs 21 sont toujours actifs en 2018 et aident momentanément le CDB pour la communication et le partage d’informations autour des projets liés à l’A21L.

Lors de l’élaboration de l’A21L, l’équipe technique d’appui au projet a par ailleurs organisé 18 séances de sensibilisation dans les hameaux et quartiers de Tsiko avec la participation de 15 à 21 personnes. Dans le village principal, la sensibilisation a été faite de maison en maison, pendant une douzaine de semaines, et sous les « arbres à palabre ».

séances de sensibilisation

séances de sensibilisation

La collette des données

La collecte des données a été faite dans une première phase par 23 commissions nommées « Commissions 21». Ces commissions 21 ont travaillé sur 25 thématiques qui ont fait l’objet de rapports présentés publiquement. La participation par rapport à la population totale, représente plus de 20%.

Suite à cette première phase, une phase de validation des données a eu lieu et les commissions ont été réduites au nombre de dix. Tout au long du processus, les personnels des ministères, des services administratifs, techniques et étatiques, de santé, de l’éducation, de sécurité, d’organisation de la société civile …, ont été mis à contribution.

Le diagnostic: le recensement et les problématiques

La population totale active, recensée par l’équipe A21L, était 2 567 habitants (2011).

Les résultats du diagnostic révèlent des difficultés de la communauté à avoir accès aux matières de premières nécessités pour une autonomie sociale et environnementale. En effet, l’éducation, l’économie, la finance, la santé, l’assainissement, l’accès à l’eau potable et à un environnement sain, l’énergie, les infrastructures publiques, la sécurité, l’équité genre, les droits de l’Homme et de l’environnement, la communication, la gestion des affaires publiques et des terres, l’agriculture, la culture, le sport, le loisir, sont autant de préoccupations qui minent l’épanouissement durable de la communauté.

La réalisation du diagnostic a été faite par 69 agents enquêteurs, 23 chefs d’équipes et quatre superviseurs.

Au total, 42 actions ont été retenues et se résument autour de la gestion durable du territoire y compris les ressources naturelles, le développement économique et la bonne gouvernance (confère le document A21). Ces actions font l’objet du document stratégique d’Agenda 21.

commission

Suivi du plan d'actions de l'A21L

Il consiste en la surveillance et au contrôle des activités et des résultats au fur et à mesure que les projets s’exécutent. Du plan d’actions initial en 2011, à ce jour 45 % a été réalisé (2018) Le budget annuel très souvent révisé est souvent déficitaire à cause du manque de moyens et d’appuis effectifs.

Le suivi interne :

Il se fait à travers l’organisation régulière de réunions entre la coordination de l’ONG JVE et l’équipe du comité de mise en œuvre (CDB). Il passe en revue l’avancement des activités, le niveau d’exécution des travaux, l’état du personnel et des matériels, les missions accomplies, les besoins urgents, etc.

Le suivi externe :

Le président du CDB dirige le comité de mise en œuvre. La fréquence de son suivi est trimestrielle. Il a pour mission d’examiner les rapports techniques et financiers des divers projets de A21L, de régler les conflits, de décider des points à faire remonter aux instances supérieures, etc.

L'évaluation

Cette activité consiste à estimer les impacts et analyser le processus de mise en œuvre de l’A21L. En concert avec les membres du CDB, l’évaluation se fait annuellement sur la base des actions prioritaires retenues annuellement depuis 2014.

En 2016, d’autres actions prioritaires ont été définies par le CDB en concertation avec la chefferie et les représentants de la population, après la révision du document conformément aux Objectifs de développement durable (ODD), processus en cours d’exécution au Togo. Il s’agit des actions regroupées dans le Plan énergétique communautaire.

Les orientations, les objectifs et les actions sont classés selon leur priorité et leur pertinence de manière à produire un changement progressif, visible et significatif dans le village.

Des résultats concrets et encourageants

La réalisation du document A21 de Tsiko a permis :

  • de régler un problème institutionnel, soit l’intronisation du chef du village et le renouvèlement du bureau du CDB avec des cahiers de charge bien définis (2014). Ce problème institutionnel fait partie de l’une des priorités de l’A21L, car depuis la mort du précédent chef, le village était dirigé par un régent, qui était le chef provisoire, et ce pendant plusieurs années. Cette situation bloquait toute possibilité d’avancement et de stabilité;
  • la construction du bâtiment du collège d’enseignement  général du village;
  • le lancement du processus de gestion durable et communautaire de la forêt sacrée d’Assimé. Cette gestion a permis le reboisement d’espèces, tel l’acacia, et la mise en place d’une ceinture verte tout autour de la forêt afin de la préserver contre les feux;
  • l’élaboration et la réalisation d’un plan communautaire énergétique.  Celui-ci a permis de mettre des lampadaires pour l’électrification de la route principale et  des foyers afin de réduire la consommation du bois provenant de la forêt  comme combustible dans les ménages;
  • Le forage de puits d’eau potable dans le village et dans l’école afin de faciliter l’accès à l’eau  et de deux puits dans les écoles.

Vu les moyens limités, plusieurs autres actions mineures sont souvent exécutées comme la fourniture de tables bancs et matériels de travail aux écoles du village, l’organisation des journées de propretés générales, les formations sur les activités génératrices de revenus …

Il faut aussi noter que ces différentes réalisations ont été possible grâce à des contributions financières et matérielles importantes des natifs de la localité vivant à l'étranger.

 

cérémonie d'intronisation du chef du village, chef ADOUA

cérémonie d'intronisation du chef du village, chef ADOUA

Les difficultés et les défis

Les difficultés majeures rencontrées lors du processus concernent :

  • la faible adhésion de toutes les classes sociales  dès le début du projet;
  • la tergiversation sur la méthodologie adéquate à adopter au cours du processus;
  • le manque de partenaires pour la mise en œuvre des actions stratégiques, tels que la planification durable des espaces de construction et d’exploitation agricole, l’assainissement de la gestion des terres, l’aménagement des infrastructures publiques, l’organisation du secteur économique pour son meilleur rendement.

Pour y faire face, des séances de sensibilisation de masse et de proximité ont été entamées tout au long du processus.

Les principaux défis restent la mobilisation des ressources financières et la mobilisation communautaire. Depuis le début de l’A21L, les ressources financières proviennent de l’ONG JVE et des populations locales elles-mêmes. Mais force est de constater que ces ressources sont souvent limitées et ne permettent pas d’accélérer la réalisation des actions.

Que retenir ?

Comme mentionné plus haut, l’A21L de Tsiko est une expérience pilote au Togo qui a inspiré d’autres collectivités locales, telles qu’Amlamé, Aného, Blitta. La vulgarisation de l’A21L aux échelles nationale et internationale ainsi que la mobilisation des ressources pour la mise en œuvre des actions constituent des orientations centrales pour la continuité durable de la démarche. Au niveau du développement, l’A21L a permis une concertation entre tous les acteurs de la société en vue d’un mieux-être de la population locale.

Pour consulter le document issu de l'agenda 21 de kpele tsiko:

Agenda 21 de Tsiko

Film documentaire :

L'Agenda 21 local de Kpélé Tsiko: une aventure, une biodiversité

https://www.youtube.com/watch?v=wxsGHCAzQRI

 

Comment citer ce texte ?

N'TSAKPE, D. (2018). « Agenda 21 de Kpélé Tsiko: une démarche originale de développement local au Togo». Dans GAGNON, C. (éditrice). Guide québécois pour des Agendas 21e siècle locaux : applications territoriales de développement durable viable, [En ligne] http://demarchesterritorialesdedeveloppementdurable.org/kpele-tsiko-togo/ (page consultée le jour mois année).

Dernière modification: 23 mars 2019

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