La gestion environnementale municipale

 

René Parenteau

Aligner les actions des services et de l’administration municipale vers des stratégies
de développement durable

Résumé
La gestion environnementale municipale peut prendre la forme d’un système de gestion environnementale pour aligner les actions des services et de l’administration municipale vers des stratégies de développement durable, comme dans n’importe quelle autre entreprise selon les normes ISO, par exemple. Elle peut prendre la forme d’une politique et d’un programme de développement durable ne s’appliquant qu’à la municipalité comme entité administrative publique et comme acteur. Elle peut prendre la forme d’un plan local d’action environnementale, ou la forme d'un Agenda 21e siècle local. C’est cette dernière forme que nous retenons ici.

La gestion environnementale municipale est une gestion locale, intégrée et stratégique

Une gestion locale vise de façon réaliste à saisir des problèmes pour lesquels la communauté territoriale a les moyens d’intervenir. Une gestion intégrée tient compte de tout le cycle d’une composante environnementale de son entrée à sa sortie du territoire, de l’eau de ruissellement à son rejet en milieu naturel, par exemple (Cadillon et al., 1984) et de toutes les composantes de son circuit dans le territoire (sociales, économiques, politiques, culturelles).

Une gestion stratégique ressemble à une gestion par résultats : une gestion par petits projets, visant des résultats concrets à court terme, alignés sur des objectifs précis et mesurables, orientés vers des buts (une vision à long terme).

L’outil le plus complet d’une gestion environnementale d’un territoire est un Agenda 21e siècle local (A21L).

La gestion environnementale du développement urbain et régional

La planification environnementale peut précéder la planification du développement territorial (plan d’urbanisme, schéma d’aménagement). Il s’agit de faire l’inventaire des ressources, des risques, des potentiels et des contraintes; de les cartographier et de ne permettre le développement que dans ce qui reste. Cette démarche est peu pratiquée. Ce qui s’en approche le plus au Québec est le zonage agricole.

La gestion environnementale peut suivre la démarche de planification du développement territorial. C’est la démarche la plus courante, celle entre autres pratiquée au Québec. On doit ainsi ajouter aux documents de planification des éléments de gestion environnementale, tel le plan de gestion des matières résiduelles.

Entre ces deux démarches, plusieurs villes et régions tentent d’introduire des stratégies de gestion environnementale dans la démarche de planification territoriale. Il faut d’abord un inventaire des problèmes environnementaux. Cet inventaire peut être établi suite à un bilan environnemental et/ou suite à une consultation publique, dans le cadre d’un processus de type Agenda 21, par exemple. La majorité des grandes agences internationales et des auteurs reconnus s’entendent cependant sur une liste de problèmes qui ne peuvent pas être ignorés dans l'inventaire.

Les problèmes qui ne peuvent être ignorés

La stratégie environnementale de la Banque mondiale identifie les problèmes suivants (World Bank, 1994) :

Les problèmes reliés à l’air :

  • la pollution de l’air ambiant trouvant son origine dans l’activité industrielle et de la circulation des véhicules motorisés ;
  • la pollution de l’air intérieur, en milieu résidentiel et en milieu de travail, causée par des problèmes de ventilation ;

Les problèmes reliés à l’eau :

  • la pollution des eaux de surface causée par les déchets industriels et municipaux, mais aussi par les eaux de ruissellement, dont celles provenant des pratiques agricoles ;
  • la pollution des eaux souterraines et leur réduction causées par le surpompage, l’élimination des déchets municipaux et industriels, ainsi que par les pratiques d’assainissement ;
  • la pollution des plans d’eau, des rives et des côtes, dont les plages ;

Les problèmes reliés à la terre et au sol :

  • la dégradation de la qualité des sols et la perte des sols causées par l’étalement urbain, le mitage du paysage rural, l’érosion, les activités minières et l’élimination des déchets industriels et municipaux ;
  • la perte ou la dégradation des éléments patrimoniaux (naturels, historiques, culturels) ;
  • la dégradation des écosystèmes naturels (habitats naturels et espèces vivantes) et des écosystèmes de support à la vie (pratiques agricoles et pratiques d’élevage) ;

Les problèmes reliés aux risques environnementaux :

les problèmes reliés au drainage causés par l’imperméabilisation des sols urbains, la disparition des milieux humides, la construction sur des sols à risque (glissement de terrains) ;

  • les problèmes d’assainissement causés par des pratiques déficientes (opération et maintenance) de gestion des eaux usées et des eaux de ruissellement ;
  • les problèmes reliés aux déchets dangereux impliquant contamination et accumulation dans la chaîne alimentaire ;
  • les problèmes reliés aux risques d’origine naturelle et anthropique causés par les forces naturelles et par les activités industrielles.

Les interventions directes ou indirectes sur les problèmes par des pratiques d’aménagement

Plusieurs de ces problèmes relèvent du génie environnemental, industriel et civil. Mais plusieurs pratiques d’aménagement du territoire participent également à la gestion de ces problèmes. On identifie en général les suivantes :

Les pratiques de conservation

Ces pratiques visent la protection des ressources naturelles et construites, dont celles du patrimoine bâti, par un accès limité ou carrément par une interdiction d’accès. On vise à protéger les espèces et les ressources qui comptent des spécimens rares, des spécimens dont on ne connaît pas la valeur pour le futur, et des composantes de valeur exceptionnelle pour la mémoire collective, l’éducation et la recherche scientifique. Ces pratiques vont amener à la création de réserves naturelles, de parcs de conservation, d’espaces réservés à l’agriculture urbaine, etc.

Citons quelques exemples : la conservation du Mont-Royal (Montréal, Québec), le zonage agricole, les jardins botaniques, les sites patrimoniaux. Dans un plan d’urbanisme ou un schéma d’aménagement, ces espaces visés sont définitivement soustraits au développement.

Les pratiques de restauration ou de réhabilitation

Ces pratiques visent à limiter et à contrôler l’accès aux espaces et aux ressources dans le but de permettre aux processus naturels (écologiques) de restaurer un équilibre qui a été perdu par l’isolement et le confinement des terrains contaminés, par exemple. Ces pratiques peuvent aussi être proactives pour accélérer le processus de restauration des équilibres naturels. La renaturalisation des berges, la foresterie urbaine, la gestion par bassin versant, les aménagements visant la capture du carbone au sol, l’agriculture urbaine et la permaculture sont des exemples de ces pratiques.

Dans un document d’urbanisme ou d’aménagement, ces pratiques vont amener à mettre en réserve des sols pour des interventions publiques seulement avec des aménagements légers. Les pistes cyclables, par exemple, sont souvent construites sur des espaces fragilisés par des activités antérieures et visent à minimiser le contact direct entre les personnes et les sols légèrement contaminés.

Les pratiques de protection

Ces pratiques visent à minimiser les impacts du développement ou à les mitiger, pour réduire la pollution et les risques. Les processus d’évaluation d’impact environnemental sont le principal outil de planification dans ce domaine. Mais de nouveaux outils apparaissent pour gérer collectivement la pollution dans les parcs industriels : par exemple, mise en place d’un système de permis de pollution, de droits et de crédits de pollution, de transferts de droits de pollution et de développement.

Dans un document officiel d’aménagement, ces pratiques et ces nouveaux outils vont amener la désignation d’espaces où une étude d’impact sera obligatoire pour tout dossier de demande de permis de développement et qui seront à prendre en compte dans une planification territoriale du développement durable viable à l’échelle locale.

Les pratiques de prévention

Ces pratiques sont proactives. Elles visent, par des interventions directes, la gestion des ressources et des espaces sensibles pour éviter des effets cumulatifs néfastes à court, moyen et long terme. On va se servir entre autres des grandes infrastructures publiques pour isoler des ressources et des espaces sensibles. Le choix de localisation d’une usine de traitement des eaux usées peut permettre de soustraire au développement des espaces sensibles. Un exemple intéressant est le parc régional de Rivière-des-Prairies à proximité de l’usine de traitement des eaux de l’île de Montréal.

Mais il faut aussi tenir compte de l’insertion dans le tissu urbain de bassins de rétention et de décantation des eaux usées (en cas de débordements planifiés ou accidentels) et des eaux de ruissellement (particulièrement à la fonte des neiges), d’équipements pour réduire les risques d’inondation ou des mesures pouvant réduire les impacts d’activités sur le confort (murs et écrans anti-bruits, zones tampons autour de sites et d’activités émettant des odeurs, par exemples).

Il est également possible d’inclure, dans ces pratiques, les plans de gestion des résidus et des déchets toxiques, les plans de gestion des risques et les plans d’urgence. Dans un document d’aménagement du territoire, ces pratiques vont identifier des espaces où le développement est permis à la condition que des réserves soient identifiées pour des interventions de nature publique. Cela sous-tend que les promoteurs et les développeurs devront réserver un certain pourcentage du sol à des fins publiques.

Les pratiques de mitigation

Ces pratiques visent des interventions lourdes, expérimentales et innovatrices sur le territoire de façon à transformer le milieu ambiant en fonction de préoccupations et de priorités en matière d’environnement. Nos collègues anglophones disent que ce sont des « no regret practices » dans le sens où on ne connaît pas trop leurs effets, mais on est certain que ces effets seront bénéfiques pour l’environnement. Les ceintures vertes, les plans verts d’agglomération, les forêts urbaines, les équipements de contrôle de la pollution, du contrôle des vents, de dispersion de la pollution sont des exemples de ces pratiques. Dans un document officiel d’aménagement du territoire, ces pratiques vont permettre d’identifier des espaces réservés à des grandes interventions publiques et des espaces où les développeurs auront le droit de déroger à des règlements existants à la condition que leur développement prévoit des mesures innovatrices et exemplaires.

Les pratiques de développement

Quand toutes les pratiques antérieures ont conduit à la mise en réserve d’espaces ou ont permis d’identifier des espaces pour du développement conditionnel, restent donc sur le territoire des espaces pour un développement sans conditions extraordinaires. Dans un document d’aménagement du territoire, ce seront alors tous les espaces réservés au développement selon les règles habituelles du zonage.

Un exemple d'outil de planification et de gestion environnementales

Cet exemple (tableau 1) est tiré et adapté de Barton, Davis et Guise (1995) :

  • à la verticale, il y a les enjeux environnementaux identifiés par la communauté (suite à un processus A21L, par exemple) ;
  • à l’horizontal, il y a les enjeux de développement. Leur évaluation doit être faite à l'intérieur d'une consultation impliquant tous les acteurs concernés.

Tabelau 1 : outils de planification et de gestion environnementales en fonction des capacités et des enjeux de developpement

  • Situation critique : zones critiques ou à risques qui demandent une interdiction totale du développement ;
  • Possibilités de transferts de droits de développer : zones où les qualités environnementales permettent une présomption contre le développement sauf en cas de besoins urgents. Si le développement est permis, il faut prévoir des mesures de substitution et de remplacement ;
  • Droits de développement négociables : zones affectées par des problèmes environnementaux à un point tel qu’en principe le développement devrait être limité et compensé par des mesures de mitigation impliquant des investissements supplémentaires ;
  • Enjeux neutres : zones où les enjeux relatifs à la protection de l’environnement et au développement s’égalisent. Le développement est permis à condition qu’il comporte des mesures innovatrices et exemplaires ;
  • Occasions de développement : zones où le développement aura des impacts positifs sur l’environnement, par le développement sur des terrains décontaminés, par exemple.
  • Priorités de développement : zones à développer en priorité par des pratiques de infilling ou de construction dans les « dents creuses » de la trame construite, par exemple.

Que retenir ?

Selon les enquêtes récentes et les plus exhaustives (Makuc et Parenteau, 1998 ; CSMOE et Nature Action, 2000), les municipalités du Québec accusent un certain retard en gestion environnementale :

  • très peu ont un A21L ou un plan local d’action environnementale. Les municipalités considèrent que leur plan vert, leur plan de protection des berges ou leur plan de gestion des matières résiduelles sont leur plan d’action environnementale. Certaines ont une forme ou une autre d’un système de gestion environnementale concernant exclusivement les actions de l’administration municipale elle-même, cela se réduisant souvent à une politique d’achat ou à un programme de mise à niveau de l’éclairage public ;
  • très peu ont une direction ou un service de l’environnement assurant une coordination intersectorielle. Par contre, bon nombre ont un comité conseil de l’environnement composé soit exclusivement d’élus, soit d’élus et de représentants de groupes et associations.
  • les actions municipales les plus remarquables sont dans le domaine des espaces verts, des réseaux cyclables et de la récupération-recyclage. Mais les administrations municipales sont peu au fait des pratiques nouvelles exemplaires en matière de rétention et de récupération des eaux de ruissellement, de mitigation de la pollution sonore, de modération du trafic, de gestion des risques etc., pour ne nommer que celles-là ;
  • le plus grand potentiel pour une meilleur gestion environnementale municipale dans les municipalités du Québec réside dans la présence d’un nombre important d’acteurs compétents de la société civile. Ces acteurs sont mobilisés, organisés et réussissent à imposer un agenda environnemental aux gouvernements et aux administrations municipales. Sauf exception, leurs actions exemplaires sont temporaires, non assurées de durabilité. Certains sont devenus des partenaires permanents des administrations municipales…. mais ce sont là des cas d’exceptions… dont il faudrait s’inspirer.
Comment citer ce texte ?PARENTEAU, R. (2007). « La gestion environnementale municipale. Aligner les actions des services et de l’administration municipale vers des stratégies de développement durable ». Dans GAGNON, C. (Éd) et E., ARTH (en collab. avec). Guide québécois pour des Agendas 21e siècle locaux : applications territoriales de développement durable viable, [En ligne] http://www.demarchesterritorialesdedeveloppementdurable.org/9590_fr.html (page consultée le jour mois année).

Pour aller plus loin...

BARTON H., G. DAVIS G et R. GUISE. (1995). Sustainable Settlements: A guide for planners, designers and developers, Local Government Management Board et University of West England, Bristol.

CADILLON M., M. JOLÉ, G. KNABEL, R. RIOUFOL. (1984). Que faire des villes sans égouts ? Pour une alternative à la doctrine et aux politiques d'assainissement urbain, SEDES, Paris, 1999 p.

CITÉS UNIES. (1996). Kit Cités Environnement : Guide de formation aux politiques locales d'environnement à l'usage des élus et des techniciens en Méditerranée, Agence Cités Unies Développement, Paris.

COMITÉ SECTORIEL DE MAIN D’ŒUVRE DE L’ENVIRONNEMENT (CSMOE) et NATURE-ACTION. (2000). L’implication des ressources humaines dans le développement de la gestion environnementale municipale au Québec, CSMOE, Montréal.

PARENTEAU, R. (1994). «Local Action Plans for Sustainable Communities», Environment and Urbanization,Vol. 6, No. 2, p. 183-201.

MAKUK, B. et R. PARENTEAU. (1998). La gestion locale de l’environnement dans les municipalités urbaines du Québec, Université de Montréal, Institut d’urbanisme, Montréal, 119 p.

THEYS, J. (2000). Développement durable, villes et territoires : innover et décloisonner pour anticiper les ruptures, Notes du centre de prospective et de veille scientifique, n°13, Ministère de l'Équipement, des Transports et du Logement. Ministère de l’Équipement; France, 135 p.

WORLD BANK. (1994). Toward Environmental Strategies for Cities, Review Draft, Urban Development Division, Washington, 132 p. (une version plus récente est disponible)

Dernière modification: 19 février 2014