Animer un processus de mise en route d'un Agenda 21e siècle local
La mobilisation des ressources et la concertation d’une communauté ne vont pas de soi. Certaines conditions favorisent leur développement. Ce court texte opère une synthèse de ce qu’il faut savoir et de ce qu’il faut mettre en place lorsque qu’on a la responsabilité d’animer un processus de mise en route d’un Agenda 21e siècle local (A21L) dans un milieu donné.
La communauté, un levier de développement social et de démocratisation ?
La « communauté » peut d’abord être prise au sens de partage d'un même territoire conçu comme espace d’un «vivre ensemble», comme lieu d'appartenance sociale où des réseaux se forment et se croisent. La notion de communauté fait donc ici référence au tissu social et à la qualité de vie construits collectivement. Cette acception de « communauté géographique » correspond à la notion de « community » très largement utilisée dans les écrits relatifs à l'organisation communautaire des pays anglo-saxons (États-Unis, Angleterre, etc.).
Ce type de «communauté» a plusieurs dimensions :
- une dimension démographique et géographique, c'est-à-dire un territoire délimité physiquement et psychologiquement ;
- une dimension psychosociale ou socioculturelle, soit le sentiment d'appartenance à un lieu donné et à un espace commun partagé ;
- une dimension institutionnelle, c'est-à-dire un réseau d'organisations qui ont un objectif commun, la participation de la population à l'amélioration de sa qualité de vie.
L’exemple de Sacré-Cœur (Québec) : une mobilisation réussie dans la durée
En 1982, la situation de Sacré-Cœur, une petite municipalité de la région du Saguenay de 1 900 résidents, est plutôt morose. La scierie locale qui emploie 300 travailleurs et qui constitue donc le levier économique clé de cette communauté vient de déclarer faillite.
Les résidents décident alors de bloquer la route 138 vers la Côte-Nord pour empêcher que la machinerie quitte les lieux. La protestation a son écho à Québec qui finit par concéder une subvention à un comité de relance. Boisaco vient de naître. Deux coopératives de travailleurs sont mises sur pied : une pour la forêt et l’autre pour l’usine. Des actions sont vendues aux résidents et les travailleurs de la scierie y investissent chacun 3 200 $.
Vingt ans plus tard, quatre coopératives emploient 747 personnes et la population de Sacré-Cœur, loin de décliner, est passée de 1 900 personnes à plus de 2 100. La municipalité de Sacré-Cœur s’est reprise en mains parce qu’elle a su additionner ses forces en misant sur une action collective comme le font depuis des décennies des milliers de coopératives à travers le Québec des régions (Côté, 2005).
Mais la « communauté » peut également posséder une autre signification, celle d'un groupe social partageant la même appartenance culturelle ou une identité de groupe. Dans différents champs de pratique (condition des femmes, insertion des jeunes…), l’organisation communautaire passe par le renforcement des identités, par la création de services ou par le soutien à la revendication, pratiques arrimées aux besoins de ces groupes sociaux spécifiques. Historiquement, l'organisation de communautés est une pratique de mouvements sociaux locaux devenue une profession (par exemple, il existe quelques 350 organisateurs communautaires œuvrent dans les Centres locaux de services communautaires (CLSC) au Québec. Cette pratique a développé ses interventions dans des territoires socialement significatifs.
La «communauté» peut aussi prendre un troisième sens. Au sein d’une population locale, il existe des groupes sociaux qui partagent une condition socio-économique commune et un statut social qui correspond à celui des chômeurs, des consommateurs en difficulté financière, de locataires menacés d’expropriation, de jeunes en situation de précarité sur le marché du travail, de résidents d’un milieu menacé par une pollution envahissante, etc. La perspective de l’organisation communautaire prend alors la posture de la défense d'intérêts communs.
Qu’il s’agisse d'une communauté géographique, d'une communauté d'intérêts ou d'une communauté d'identité, retenons trois éléments :
- une communauté, renvoie d'abord à un territoire commun, à des intérêts socio-économiques semblables et à une identité culturelle partagée. Ces trois composantes constituent autant de moteurs d'action collective et de facteurs suscitant la mobilisation sociale ;
- ces trois moteurs d'action collective peuvent, à certains moments, s'additionner dans la perspective d’un projet collectif comme celui de l’Agenda 21e siècle local (A21L). Plusieurs expériences démontrent que des communautés locales réussissent à (re)démarrer une dynamique de développement en combinant une condition commune, une identité collective et leur appartenance à un territoire donné ;
- la communauté est cependant une réalité qui se construit ou se reconstruit constamment sur un moyen et long terme. C’est toujours une réalité en devenir. L'intensité du sentiment d’appartenance sociale est révélatrice de la capacité d’un groupe à réaliser avec succès des programmes de relance ou d’organisation du milieu local.
Retenons en outre que le travail d'organisation d’une communauté doit être considéré comme une action de développement au long cours. La mobilisation d’une communauté ne donne pas toujours, ni même souvent, les résultats escomptés à court terme. Mais elle réussit, à long terme, lorsque des portions significatives de la population s’engagent dans une dynamique de transformation de leurs conditions et de leur pouvoir social. Ce qui mène généralement à l’émergence de mouvements qui, partant du local, vont changer d’échelle d’intervention pour se passer aux plans régional, national et même international.
Mobiliser et concerter : comment et à quelles conditions ?
Mobiliser une communauté est donc un enjeu de taille qui nécessite, pour l’animateur ou l’organisateur, par-delà la diversité des besoins et des pratiques d’un milieu donné, de s’appuyer sur ces trois moteurs d'action collective que sont le territoire partagé, l'intérêt collectif d’un groupe et l'identité socio-culturelle de la communauté.
L’exemple du technopôle Angus : une initiative locale ancrée dans la communauté
de Montréal (Québec)L’Est de Montréal, notamment les quartiers Rosemont et Hochelaga-Maisonneuve, était doté d’une grande entreprise de plusieurs milliers de travailleurs dans les années 40 et 50. Les usines Angus, appartenant à la firme Canadien Pacifique, fabriquaient des locomotives. La fermeture définitive de cette grande entreprise en 1992 amène la population des quartiers environnants à reconvertir ce complexe industriel en fonction de l’emploi local et de considérations environnementales. De petites et moyennes entreprises privées et collectives trouvent leur niche à l’intérieur d’un nouveau complexe industriel locatif dans un ancien bâtiment restauré. Des coopératives d’habitation aussi. Grâce à quoi ? Au dispositif de création d’une Corporation de développement économique communautaire (CDÉC) mise en place. La CDÉC locale va alors créer une société de développement, la Société de développement Angus laquelle va réussir, grâce à une forte mobilisation de la communauté, à négocier la prise de possession d’une grande partie du terrain détenu par Canadian Pacific soit 250 000 m2. Aujourd’hui, plusieurs dizaines d’entreprises y ont pignon sur rue et plusieurs centaines de familles y ont trouvé un logement répondant à leurs besoins. (Klein et Fontan, 2003).
Travailler à mobiliser une communauté dans la concertation permet de se donner des outils de développement social et des outils de démocratisation de la société. Mais comment s’engage-t-on dans un processus de mobilisation d’une communauté et dans la concertation de ses forces vives ? Comment procède-t-on ? Quelle est la méthode générale d’intervention ?
En organisation communautaire, la mobilisation des acteurs et leur concertation requiert de mettre en œuvre un certain nombre de conditions de développement. En voici les principales :
- il y a un momentum à toute ouverture au changement social au sein d’une communauté et il faut savoir la saisir. Le momentum, c’est lorsque l’on perçoit qu’une majorité de forces vives d’une communauté est prête à bouger et que le travail collectif est devenu le point de départ obligé de la plupart des gens de la communauté ;
- c’est aussi un timing comme on dit, c’est-à-dire le moment approprié où la communauté commence à comprendre que le projet est non seulement souhaitable, mais aussi possible. Plus encore, le timing est le moment précis, le moment critique qu’il faut mettre à profit. Sinon, ce moment peut se transformer en occasion ratée à défaut d’avoir été saisi à temps ;
- des « véhicules » d’action collective : un groupe de leaders en mesure de prendre le « volant », et une portion significative de la population locale qui adhère aux actions décidées et de l’organisation porteuse ;
- Une majorité de la population dont il est possible de gagner la sympathie ou tout au moins la neutralité dans la réalisation des objectifs mis de l’avant ;
- Une « bougie d’allumage » : des animateurs, c’est-à-dire des leaders sachant jouer un rôle de catalyseurs pour mener à bien l’ensemble de la mobilisation ;
- Une «carte routière» : un plan d’intervention ou d'action, des objectifs précis, des moyens d’y arriver, la prévision d’échéances réaliste, etc. ;
- l’utilisation de ressources externes : la capacité de tabler sur les politiques, les programmes, les services et les ressources des mouvements et des institutions existantes ;
- L’utilisation des ressorts internes à la communauté : la capacité d’initiative et d’audace de ses leaders de même que le sentiment d’appartenance sociale présent au sein de la communauté ;
- l’« essence » au véhicule : l’information et la formation des leaders, l’apprentissage au fonctionnement démocratique des structures constituées ;
- une gestion adéquate de la conduite des organisations mises en place : un bon maillage de celles-ci, la circulation des informations et l’échange d’idées et de points de vue d’un réseau à l’autre, etc.
L'implication des citoyens dans la ville de Seattle
Que retenir ?
- Il y a un momentum, un timing bref des conditions à toute action collective telle l'A21L ;
- multiplier les mobilisations de communautés permet au fil du temps de créer un mouvement plus général ;
- cette multiplication des mobilisations favorise en effet la structuration de nouvelles générations d’organisations et d’institutions pouvant fournir du soutien et de l’accompagnement pour transformer des problèmes en projets collectifs ;
- et ainsi consolider la démocratie locale par un contrôle plus effectif des populations sur le développement de leur territoire d’appartenance, là où elles choisissent de bâtir un « vivre ensemble ».
Comment citer ce texte ?FAVREAU, L. (2007). « La mobilisation des ressources et la concertation dans une communauté. Animer un processus de mise en route d’un Agenda 21e siècle local » Dans GAGNON, C. (Éd) et E., ARTH (en collab. avec). Guide québécois pour des Agendas 21e siècle locaux : applications territoriales de développement durable viable, [En ligne] http://www.demarchesterritorialesdedeveloppementdurable.org/9571_fr.html (page consultée le jour mois année).
En complément
Pourquoi se doter d’un A21L
Les acteurs de l’A21L et leurs principaux rôles
La construction d'un partenariat avec la communauté
La structure de travail d’un A21L
L'élaboration d'un plan d’action A21L
L'encadrement et le soutien financier
Le rôle des groupes de citoyens dans l’aménagement viable
Pour aller plus loin...
BOURQUE, D., COMEAU, Y., FAVREAU, L. ET FRÉCHETTE, L. (2006). L’organisation communautaire, fondements, approches et champs de pratique, Presses de l’Université du Québec, Sainte-Foy, 560 p.
COTÉ, C. (2005). Le Québec débrouillard. Les résistants de Sacré-Cœur, La Presse, Québec, samedi 10 septembre 2005, p. A10.
KLEIN, J.-L., et J.-M. FONTAN. (2003). "Reconversion économique et initiative locale : l’effet structurant des actions collectives". Dans FONTAN, J.-M., R-L., KLEIN et B. LÉVESQUE, Reconversion économique et développement territorial, Presses l’Université du Québec, Sainte-Foy, p.11-34.
FAVREAU L. et M. HÉBERT (2012). La transition écologique de l'économie. la contribution des coopératives et de l'économie solidaire. Presses de l'Université du Québec, collection "Initiatives", 172 p.
Sites Internet
Alliance de recherche université-communauté. Innovation sociale et développement des communautés (ARUC-ISDC) : cette Alliance de recherche université-communautés démarrée en 2006 à l’UQO comprend trois axes de recherche : Développement social des communautés; Développement socio-économique des communautés et des régions; Développement local au plan international.
Chaire de recherche du Canada en développement des collectivités (CRDC) : les travaux de recherche se font à l'échelle du Québec et des Amériques de même qu'à l'échelle internationale dans une perspective Nord-Sud. Ils portent sur la place qu'occupe le territoire et les collectivités locales dans le développement économique et social, particulièrement sur le registre des pratiques innovantes de création de richesses (en économie sociale, en organisation communautaire, en développement local durable et en développement régional) et sur celui des nouvelles politiques publiques de développement.
Dernière modification: 1 novembre 2013