Le tableau de bord régional

 

Annie Brassard

L'exemple du Saguenay-Lac-Saint-Jean

Résumé
Entre 2000 et 2002, le Centre québécois de développement durable (CQDD) a élaboré un outil permettant de mesurer les progrès d’un territoire vers un développement plus efficace au plan économique, socialement plus juste et écologiquement soutenable. Le Tableau de bord du Saguenay—Lac-Saint-Jean donne un aperçu de l’état du développement durable selon sept domaines : le développement humain, l’environnement, le social, l’économie, la gestion des ressources, le territoire et la culture. L’évaluation annuelle de chaque domaine est faite en interprétant un bassin d’indicateurs de référence. Chaque indicateur a été choisi pour mesurer un objectif de développement durable. Pour les décideurs, cette information est essentielle pour s’ouvrir à toutes les dimensions de leurs impacts sur le développement et ainsi prendre des décisions plus éclairées. Le Tableau de bord a aussi une fonction d’information et de sensibilisation aux enjeux de développement durable et aux actions à mettre en œuvre.

Mesurer pour mieux progresser

Depuis le Sommet de la Terre à Rio en 1992, il est entendu que le concept de développement durable (DD) englobe généralement les valeurs d’une société juste et équitable et d’un développement socio-économique orienté vers les besoins fondamentaux humains et la perpétuation de l’environnement. Or, mesurer le développement durable est devenu une nécessité afin que les communautés se définissent des objectifs clairs et, surtout, soient capables d’évaluer les progrès accomplis pour les atteindre.

Le Centre québécois de développement durable (CQDD), auparavant désigné comme la Région laboratoire du développement durable (RLDD), a eu conscience très tôt de l’importance de la mesure du développement durable. La région du Saguenay-Lac-Saint-Jean connaît en effet depuis plusieurs années des problématiques communes à plusieurs régions éloignées : taux de chômage supérieur à celui des grands centres, exode des jeunes, économie concentrée, bilan de santé préoccupant, etc. Certaines études suscitent aussi un questionnement sur la qualité de l’air et de l’eau en région (Environnement Canada, 1999). D’autre part, l’existence même du CQDD, un organisme voué au développement, à l’expérimentation et à l’adaptation d’application du développement durable, soulevait la nécessité de mesurer les progrès obtenus et à venir.

Il est donc apparu important aux intervenants régionaux de mieux connaître l’état général de la région sur les plans social, économique et environnemental, d’agir et de suivre les progrès de la région vers un développement qui maximise la qualité de vie des générations actuelles et futures.

C’est en 1996, lors de la Planification stratégique régionale, que le CQDD s’est engagé à élaborer un indice de qualité de vie. Cet engagement s’insérait dans un momentum régional favorable où, pour la première fois, le Conseil régional de concertation et de développement (CRCD) a statué que « le concept de développement durable demeure la toile de fond qui soutient l'ensemble de la démarche de la Planification stratégique régionale » (CRCD, 1996).

Le projet du Tableau de bord, que le CQDD a mené pour répondre à cet engagement, vise les objectifs suivants :

  • connaître et mettre en relief les enjeux locaux ou régionaux relatifs au développement durable et suivre leur évolution ;
  • faciliter l’évaluation de l’impact des projets, des programmes et des politiques engagées ;
  • stimuler la participation démocratique et l’engagement des citoyens envers l’avenir de la collectivité ; et
  • suggérer des actions positives aux citoyens, promoteurs et organismes du milieu.

Une démarche en deux temps

La démarche d’élaboration du Tableau de bord fut abordée en deux temps, soit une première phase du printemps 2000 à l’automne 2001, et une deuxième de l’automne 2001 à l’automne 2002.

La première phase a été dédiée à la sélection et à l’interprétation des indicateurs pour rendre compte de l’avancement du développement durable pour le territoire du Saguenay—Lac-Saint-Jean. Diverses approches sur le plan de la réalisation ont été observées en fonction des objectifs visés, du public cible et de l’échelle de la communauté visée : locale, provinciale, nationale ou internationale.

De près ou de loin, les approches de réalisation des tableaux de bord à l’échelle locale (Sustainable Seattle, 1997; Jacksonville, 1996; Socitété canadienne d'hypothèque et de logement et Environnement Canada, 1995) rejoignent la démarche-type proposée par Maclaren (1996). L’élaboration du Tableau de bord du Saguenay—Lac-Saint-Jean a été inspirée par quelques expériences menées à l’échelle de collectivités locales : celles de Hamilton-Wentworth en Ontario et de Jacksonville en Floride comptent parmi elles. Mais le programme Sustainable Seattle, gagnant d’une citation des Nations Unies en 1996 pour « Best Practices in Community Indicators » à la Conférence Habitat II à Istanbul, est sans doute celui qui a le plus influencé la méthodologie.

La première phase d'élaboration du Tableau de bord s’est déployée globalement selon les étapes suivantes :

  • former un groupe de travail ;
  • définir et conceptualiser la nature de la durabilité et les buts à atteindre ;
  • déterminer le public cible, l’objet auquel serviront les indicateurs et le nombre relatif d’indicateurs requis ;
  • choisir un cadre convenable d’indicateurs ;
  • définir les critères de sélection des indicateurs ;
  • repérer un ensemble d’indicateurs potentiels et les évaluer par rapport aux critères de sélection ;
  • choisir un ensemble définitif d’indicateurs et vérifier leur efficacité.

Pour la démarche d’élaboration dans son ensemble, deux comités ont été formés : un comité aviseur et un comité scientifique. D’autre part, la base de la consultation a été élargie ponctuellement à plusieurs personnes ressources des milieux universitaire, public et privé.

La définition de la durabilité est issue de la réflexion et de l’expérience pratique du CQDD. Par la suite, le comité aviseur s’est interrogé sur les objectifs et les utilisateurs des indicateurs, ce qui les a amenés à définir le format sous lequel les indicateurs seraient présentés. Conséquemment, une sélection d’environ 40 objectifs, mesurés par un ou deux indicateurs et classés en 7 domaines, est apparue pertinente pour atteindre les objectifs présentés plus haut.

Les indicateurs ont été sélectionnés sur la base des critères suivants :

  • l’adéquation mesurant l’objectif de développement durable ;
  • le degré de contrôle discriminant le degré d’influence que des individus ou une collectivité peut(peuvent) posséder sur l’indicateur ;
  • la comparabilité vérifient l’occurrence de chaque indicateur dans des bassins effectifs d’indicateurs de développement durable ;
  • la compréhension par les usagers ;
  • l’attrait par les usagers privilégiant les indicateurs qui touchent une priorité d’action ouvertement exprimée par la population ou susceptible de les préoccuper.

Cette première phase a permis la rédaction et la mise en forme du document intitulé Tableau de bord sur l’état de la région du Saguenay—Lac-Saint-Jean ; des indicateurs pour un développement durable que l’on peut consulter sur Internet. Rapidement, il est apparu que l’utilisation des indicateurs par les publics cibles, les décideurs et les citoyens, nécessitait une autre étape de vulgarisation sur le plan communicationnel : c’est la phase 2 du projet.

Cette deuxième phase de vulgarisation a été consacrée à formuler une cote d’évaluation globale pour chaque domaine afin d’offrir à l’utilisateur une image qui pourrait rapidement et simplement résumer les forces et faiblesses du territoire en termes de développement durable. Ces évaluations globales ont été obtenues en agrégeant les cotes de chacun des indicateurs de chaque domaine. L’utilisation même du terme « tableau de bord », pour certains, impliquait une telle phase.

Pour en arriver à des évaluations globales pour chacun des sept domaines, il a d’abord fallu rendre les données des indicateurs comparables entre elles. Le CQDD a donc élaboré des barèmes normatifs d’évaluation pour chaque indicateur. Chaque barème comprend cinq valeurs qualitatives possibles, soit urgent (-2), inquiétant (-1), fragile (0), encourageant (1) et victoire (2). Chaque qualitatif correspond à un intervalle de valeurs possibles que l’indicateur peut prendre et facilite donc l’interprétation du résultat de cet indicateur. Ainsi, il est possible de comparer les résultats des indicateurs entre eux.

Par exemple, l’indicateur « bilan migratoire » présente une donnée de - 2000 personnes pour l’année 2001, ce qui correspond à une situation qualifiée d’ « urgente » (-2) selon son barème d’évaluation. Pour la même année, un indicateur très différent, « qualité de vie dans les centres-villes », obtient une donnée de 2/49, c’est-à-dire que deux municipalités sont dotées d’un plan d’intégration et d’harmonisation architecturale sur les 49 municipalités de la région. Ce résultat correspond aussi à une cote de -2 sur le barème d’évaluation de l’indicateur. En bref, ces barèmes d’évaluation permettent à l’utilisateur d’interpréter rapidement que ces indicateurs reflètent tous les deux une situation très préoccupante, même si les données pour l’exprimer sont très différentes.

Les étapes suivantes ont mené aux évaluations globales des sept domaines du Tableau de bord :

  • documentation des indicateurs ;
  • conception de barèmes d’évaluation ;
  • formation de groupes de travail ;
  • validation et bonification des barèmes d’évaluation ;
  • application des barèmes et compilation des résultats ;
  • conception d’une illustration synthèse des résultats.

Pour des considérations pratiques, le comité des évaluations globales a été scindé en 4 groupes de travail : groupe social, groupe économie, groupe environnement et groupe territoire. Les travaux ont débuté par l’élaboration d’un document de travail par l’équipe du CQDD. Ce document proposait et étayait un barème d’évaluation des indicateurs sur une échelle de 1 à 5. Les barèmes d’évaluation ont été construits sur la base :

  • de la comparaison des données aux échelles locale, régionale, nationale et internationale ;
  • de certaines normes scientifiquement ou socialement acceptées ; et
  • d’objectifs publics ou de ceux de la société civile.

L’édition 2003 du Tableau de bord : une photo de départ

La figure 1 ci-dessous présente l’édition 2003 du Tableau de bord du Saguenay—Lac-Saint-Jean, résultat des trois années de travail.

Figure 1 : l’édition 2003 du Tableau de bord

Le Tableau de bord sur l’état de la région donne un aperçu de l’état du Saguenay—Lac-Saint-Jean et de sa progression vers le développement durable selon sept domaines : état du développement humain, état de l’environnement, système social, systèmes économiques, gestion des ressources, gestion du territoire et culture et gouvernance. L’évaluation annuelle de chaque domaine est faite en interprétant un bassin d’indicateurs de référence spécifiquement sélectionné. Chaque indicateur a été choisi pour mesurer un objectif de développement durable. Par exemple, l’indicateur participation aux élections municipales mesure l’objectif « participation des citoyens aux affaires publiques par le biais de processus collectifs de prise de décision ».

En un seul coup d’œil, le Tableau de bord permet d'avoir une synthèse sur la situation du Saguenay—Lac-Saint-Jean en 2003. À première vue, la région se situe généralement dans un état que l’on peut qualifier d’inquiétant, mais il faut nuancer ce constat.

Le domaine systèmes sociaux constitue le point fort, avec un résultat « encourageant ». Cela est dû en partie à une distribution plus équitable de la richesse (indicateur 19) et à nos bons résultats sur le plan de la diplomation au secondaire (indicateur 20).

À l’opposé, le point faible se retrouve au niveau de la gestion du territoire. La qualité de vie dans les centre-villes (indicateur 36), la concentration de l’agriculture (indicateur 37) et la situation du transport collectif (indicateur 40) sont les enjeux les plus préoccupants à y relever.

Entre ces extrêmes, deux domaines se retrouvent dans un état fragile : le développement humain, et l’environnement. Enfin, trois autres domaines se trouvent dans un état inquiétant : la culture, les systèmes économiques et la gestion des ressources.

Le Tableau de bord, en révélant certaines grandes tendances de notre développement en termes de durabilité, est essentiel aux décideurs pour la planification et la prise de décision éclairée. Le Tableau de bord a aussi une fonction plus large d’information et de communication, auprès des médias et des citoyens. Les indicateurs, en effet, sont formulés comme des enjeux et des comportements à comprendre, à promouvoir et à mettre en œuvre pour progresser vers le développement durable.

Le Tableau de bord : lacunes et possibilités

La lecture du Tableau de bord est intéressante, certes, mais elle permet de constater certaines lacunes quant à l’outil. Pour l’instant, huit indicateurs ne possèdent pas de barème d’évaluation pour les raisons suivantes :

  • les discussions avec les organismes publics n’ont pas abouti à une proposition d’indicateur de leur part pour les services de santé et préparation des citoyens et des municipalités aux situations d’urgence ;
  • l’indicateur est mesurable, mais les données régionales ne sont pas disponibles pour la consommation d’énergie, la consommation d’eau et l'étalement du milieu habité ; ou
  • la façon de mesurer l’indicateur n’est pas adéquate et est en cours de modification pour le taux d’emploi chez les Autochtones, les travailleurs du secteur privé protégés par une convention collective, le pourcentage des résidences chauffées avec un foyer certifié.

Le Tableau de bord sur l’état de la région fournit, à l’intention du grand public et des décideurs, des indications dynamiques sur les tendances d'enjeux du développement durable. Il faut aussi prendre en considération ses limites, et ce pour éviter les fausses conclusions.

En raison de son caractère synthétique, il ne permet pas de dresser un portrait exhaustif de la situation. Cet outil risque donc de s’avérer insuffisant pour l’usage que les décideurs et les gestionnaires souhaitent en faire, d’autant que les décideurs oeuvrent dans des secteurs particuliers. À tout le moins, des bassins d’indicateurs complémentaires devront être mis à la disposition des décideurs pour compléter leur information.

Le Tableau de bord sur l’état de la région, quel qu’il soit, ne peut non plus, à lui seul, servir à l’évaluation de la performance ou à l’évaluation de projets, ce qui est plutôt le rôle des indicateurs de performance, beaucoup plus précis.

Afin d’atteindre ces objectifs, un Tableau de bord doit être un projet partagé collectivement, diffusé et mis à jour sur une base régulière. Cela veut dire, dans le cas présent, partagé avec les principaux acteurs régionaux, soit les décideurs, mais également partagé avec l’ensemble des régions du Québec. Ces dernières pourraient disposer de leur propre Tableau de bord dont la méthodologie pourrait être comparable avec celle de la région du Saguenay—Lac-Saint-Jean.

Que retenir ?

Le Tableau de bord permet :

  • d’améliorer la connaissance que les acteurs du développement possèdent de leur collectivité ;
  • de conscientiser la population et d’encourager l’action ;
  • de favoriser l’aide à la décision pour les différents exercices de planification stratégique.
Comment citer ce texte ?BRASSARD, A. (2007). « Le Tableau de bord du Saguenay—Lac-Saint-Jean. Des indicateurs pour un développement durable ». Dans GAGNON, C. (Éd) et E., ARTH (en collab. avec). Guide québécois pour des Agendas 21e siècle locaux : applications territoriales de développement durable viable, [En ligne] http://www.demarchesterritorialesdedeveloppementdurable.org/9594_fr.html (page consultée le jour mois année).

Pour aller plus loin...

CENTRE QUÉBÉCOIS DE DÉVELOPPEMENT DURABLE (CQDD). (2003). Tableau de bord du Saguenay—Lac-Saint-Jean, CQDD, Alma, 125 p.

CONSEIL RÉGIONAL DE CONCERTATION ET DE DÉVELOPPEMENT (CRCD). (1996). Planification stratégique régionale du Saguenay—Lac-Saint-Jean, document non édité.

JACKSONVILLE COMMUNITY COUNCIL. (1996). « Life in Jacksonville : Quality Indicators for Progress » , dans Indicateurs de durabilité urbaine : gros plan sur l’Expérience canadienne, Presse du CIRUR, Toronto, 177 p.

MACLAREN, V. (1996). Les indicateurs de durabilité urbaine : gros plan sur l’expérience canadienne, Presses du CIRUR, Toronto, 177 pages.

SUSTAINABLE SEATTLE. (1997). The Community Indicators Handbook. Mesuring progress toward healthy and sustainable development, Redefining Progress, Sans Francisco, 145 p.

SOCIÉTÉ D’HYPOTHÈQUE ET DE LOGEMENT ET ENVIRONNEMENT CANADA. (1995). Mesure de la durabilité urbaine : atelier sur les indicateurs au Canada. Compte-rendu de l’atelier, Gouvernement du Canada, Ottawa, 77 p.

ENVIRONNEMENT CANADA. (1999). Mesure des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des polychlorodibenzo-p-dioxines (PCDD) et des polychlorodibenzofurannes (PCDF) dans l’air ambiant du Canada (1987-1997), Rapport DAQA 98-3, Division de l’analyse et de la qualité de l’air, gouvernement du Canada, Ottawa, 48 p.

Sites Internet

Centre québécois de développement durable
Tableau de bord du Saguenay—Lac-Saint-Jean

Dernière modification: 19 février 2014