L’identification de facteurs de réussite et son corollaire, les défis, ne s’inscrit pas dans une approche normative, tout comme le guide d’ailleurs. Cette identification qui vise à opérationnaliser une démarche Agenda 21e siècle local (A21L) adaptée aux caractéristiques du territoire et de la communauté. Réfléchir aux facteurs de succès – ce qui renvoie aux limites mêmes de la démarche – comporte des risques compte tenu de sa relative jeunesse. C’est pourquoi l’expérience européenne qui est en cours depuis le début des années 90 a servi aussi à structurer cette brève analyse autour des facteurs de réussite et d’une douzaine de défis.
- Contexte international
- Postulat de base ou condition initiale
- La diversité des approches d’A21L
- L’approche globale A21L : un nouveau mode de gouvernance centrée sur le rehaussement de la qualité de vie
- Quelles sont les caractéristiques de ce mode de gouvernance ?
- Les facteurs de réussite
- Les défis d’une démarche d’A21L et de son suivi ?
- Que retenir ?
Contexte international
Rappelons que l’idée première des Agenda 21e siècle locaux (A21L) découle du Sommet de la Terre de Rio (1992) et du programme d’actions Agenda 21 (A21). Cet Agenda, signé par 173 pays, composé de 40 chapitres, proposait au chapitre 28 que les collectivités territoriales locales se dotent aussi d’un A21, d’où l’expression Agenda 21 local. Un organisme, soit l’ ICLEI, fut même créé et financé par les Nations Unies pour appuyer les efforts des municipalités. Toutefois, force est de constater, que ce fut un demi-succès, puisque 10 ans plus tard, il n’y avait que 6 500 A21L dans le monde dont 80% en Europe du Nord (chiffres 2002). Par contre, plusieurs législations et pays ont depuis consenti de nombreux efforts à ce chapitre, ce qui devrait se voir dans le prochain décompte international sur les A21L dans le monde.
Postulat de base ou condition initiale
La condition initiale de réussite d’un A21L demeure dans une double combinatoire ! Combinatoire entre une demande sociale forte, implicite ou explicite, et la volonté politique des élus de répondre à cette demande. Ce qui implique une ouverture des élus à une gouvernance participative. Autre combinatoire qui se traduit par l’intégration du plan d’action A21L au cadre institutionnel approprié (plan d’urbanisme, plan triennal, schéma d’aménagement, plan directeur de l’eau, politique de développement durable viable, etc,). Soyons clairs ! Sans cette volonté combinée de la société civile organisée et celle des élus, c’est une demi-réussite!
La démarche d’A21L, et ce qu’elle sous-tend de potentiel d’innovation sociale, suscite des espoirs de renouveau, notamment chez les communautés qui vivent des transformations et des évènements percutants qui mettent en cause leur survie. De même la société civile québécoise interpelle régulièrement la vie de la Cité et nombre de citoyens tentent de participer à l’effort d’un mode de vie plus viable.
La réussite du partenariat entre l'état, le secteur privé et les résidents dans la ville de Copenhague (Danemark)
La diversité des approches d’A21L
Il est encore trop tôt pour faire une classification des approches d’A21L en cours au Québec compte tenu de leur relative jeunesse. Toutefois, nos observations permettent de noter qu’il y a des plans d’action qui sont orientés davantage sur :
- des projets et la planification urbaine ;
- des orientations stratégiques ;
- une thématique centrale (exemple: la culture).
Ces orientations sont aussi en lien avec la place qui a été accordée au départ à la population locale et aux choix des modes de consultation lors de l’élaboration du plan d'action : par exemple, les ateliers de travail sont-ils ouverts à tous ou seulement sur invitation?
Une étude européenne identifie cinq grandes approches, selon les pays, quant aux pratiques locales de développement durable (DD) et aux A21L :
- la mobilisation communautaire ;
- les écotechniques et les écoprocédés ;
- les modes de vie durables ;
- la planification volontariste ;
- la qualité de vie. (Emelianoff, 1999).
L’approche globale A21L : un nouveau mode de gouvernance centrée sur le rehaussement de la qualité de vie
« En Norvège, l’Association des autorités régionales et locales a associé les Agendas 21 locaux à un renouveau de la démocratie locale » (Emelianoff, 1999 : 107)
Les collectivités territoriales et les acteurs qui adoptent un A21L et/ou des pratiques de développement durable viable (DDV) expérimentent un nouveau mode de gouvernance territoriale, voire une nouvelle culture organisationnelle qui peut conduire à une occupation dynamique de l’ensemble du territoire québécois.
Plus d’une pratique sociale (bénévolat communautaire, coopératisme, agriculture soutenue par la communauté, foresterie durable, responsabilité sociale de l’entreprise, écotourisme, etc.), plus d’une pratique de développement durable viable (parc urbain, récupération/recyclage, diminution de la consommation, notamment énergétique, etc.) et plus d’un acteur interpellent (pour ne pas dire réclament !) et donnent forme à ce mode de gouvernance qui nécessite des appuis, voire une institutionnalisation.
Quelles sont les caractéristiques de ce mode de gouvernance ?
Ce nouveau mode de gouvernance territoriale se caractérise par :
- la construction collective d’un cadre d’actions et de pratiques soutenues par des politiques et programmes adéquats et territorialisés ;
- l’établissement et le partage d’une vision stratégique et prospective, par des acteurs territoriaux, des décideurs et des citoyens afin d’orienter collectivement le futur du territoire ;
- un partenariat ouvert et équitable entre les acteurs territoriaux, les leaders, la société civile autour d’une vision commune du territoire ;
- une meilleure intégration des besoins et des préoccupations fondamentaux des citoyens dans la planification et la gestion territoriales ;
- une meilleure adéquation entre les services publics des collectivités territoriales et les besoins des citoyens, notamment les plus fragilisés ;
- la responsabilisation des acteurs territoriaux qui ont un impact sur l’environnement physique et humain (notamment les entreprises) et l’adoption de pratiques vertes, équitables et solidaires ;
- la participation du plus grand nombre de citoyens à la planification territoriale ;
- plus de transparence dans la prise de décision et d’adéquation en fonction des principes de DDV ;
- une réorientation de l’action publique et de sa culture organisationnelle dans le sens de l’intersectoriel et de la transversalité.
Bref, la nouvelle gouvernance territoriale est à la fois un objectif et une résultante d’une démarche intégrée de DDV.
Les facteurs de réussite
Les facteurs de réussite d’un A21L peuvent être classés en deux grands types :
- politiques ;
- sociaux et organisationnels.
Les facteurs politiques, tant à l’échelle locale que nationale, facilitant une démarche d’A21L.
Les facteurs politiques réfèrent au contexte institutionnel, local/national/international (voir point précédent), qui contribue à la valorisation de l’outil intégré de DDV, soit l’A21L, et qui en quelque sorte le précède :
- la présence de politiques environnementales ou de plan/programme sectoriel à caractère environnemental (échelle locale ou microrégionale) et d’une loi ou programme de développement durable (échelle nationale) ;
- la participation d’élus de collectivités territoriales, de représentants gouvernementaux, d’universitaires, de membres d'organismes environnementaux régionaux aux grands évènements internationaux (Sommets de la Terre, Conférence internationale, etc.) ;
- le « réseautage » plus ou moins formel des acteurs cités précédemment ;
- la participation des collectivités territoriales à des réseaux d’acteurs nationaux, tels que celui de Villes et Villages en santé, etc. ;
- la présence de territoires pilotes dont le projet sert de source d’inspiration et de marqueur comparatif ;
- la présence d’élus sensibilisés à la nécessité du changement et capables d’exercer un effet d’entraînement, tant à l’intérieur du conseil municipal ou de l’instance décisionnel qu’à une échelle régionale ;
- l’engagement politique de l’ensemble des élus territoriaux se traduisant par des moyens et des appuis concrets ;
- la présence de politiques ou de programmes nationaux soutenant l’élaboration et la mise en œuvre des A21L ;
- l’ouverture face à de nouvelles formes de démocratie participative qui vont au-delà de la consultation légale (ex. révision du schéma d’aménagement) ou des actions d’information et même de partenariat ;
- la présence d’une problématique évidente de mal développement sur le territoire ou menace environnementale ou, au contraire, présence de projets de DD déjà existants ;
- sur le plan des administrations territoriales, un accord et un engagement de tous les services en vue de favoriser la coordination intersectorielle et l’appui au plan d’action A21L ;
- la présence d’un cadre formel national assurant et définissant les grandes lignes de l’approche intégrée du DDV et de l’A21L afin d’assurer une cohérence et un cadre de référence commun ;
- la crédibilité du processus et outil A21L auprès de l’ensemble des acteurs.
Les pays avec une proportion élevée de communes possédant un Agenda 21 sont aussi ceux où il y existe une bonne collaboration entre le gouvernement et ces milieux (ICLEI, 2002).
La volonté politique, le leadership et la sensibilisation des élus : des conditions essentielles favorisant les collectivités viables
Les facteurs organisationnels et sociaux appuyant une démarche d’A21L
Les facteurs organisationnels renvoient aux conditions matérielles et méthodologiques en cours de démarche :
- la mobilisation des acteurs tant privés (entreprises), publics (représentants de ministères ou d’agences) que communautaires;
- la présence d’un cadre formel pouvant recevoir les propositions résultant de la démarche A21L ;
- la formation d’un comité A21 représentant les différentes problématiques vécues par les citoyens (d’abord démarche citoyenne) et tenant compte de critères comme le sexe, l’âge et le type d’activités et ayant ou se dotant des compétences pour accomplir le mandat ;
- la communication coordonnée entre les divers acteurs et leurs pratiques, notamment entre le comité A21, les élus et la population ainsi qu’avec les autres territoires voisins ou encore les territoires d’appartenance administrative, tels que les MRC, la région ;
- l’indépendance du comité A21 par rapport à l’administration territoriale ;
- la présence, tant à l’interne du comité A21 qu’avec l’institution territoriale, d’un climat de bonne entente et de compréhension mutuelle, ce qui suppose aussi des capacités à gérer les conflits ;
- la disponibilité des ressources matérielles et humaines pour le comité A21 (appui et soutien, expertise, locaux, budget de diffusion et logistique, etc.) ;
- l’organisation de l’information/la formation/le débat public sur la démarche, tout en garantissant aux participants un retour sur leur participation, leurs attentes et leurs demandes ;
- l’adoption d’une approche non sectorielle des problèmes et des pratiques organisationnelles ;
- l’adoption d’un processus d’amélioration en continu pour l’administration territoriale.
Cette dernière énumération n’a pas la prétention d’être exhaustive ; elle pourrait même être complétée par votre propre expérience. Pour identifier ces facteurs, nous nous sommes aussi inspirés des expériences internationales.
Les difficultés évoquées par les pays de la Communauté européenne concernant les A21L
« Les difficultés communément évoquées sont le manque de ressources humaines et financières, le manque de soutien politique, ainsi que des bases légales faibles. La difficulté de maintenir l’intérêt à long terme et le manque de monitoring, d’évaluation et de coopération intersectorielle sont également mentionnés » (ARE, 2005 : 21).
Les défis d’une démarche d’A21L et de son suivi ?
Toute démarche de changement est un défi en soi, surtout lorsqu’elle implique un groupe ou une collectivité ! Malgré et à cause de la relative jeunesse des A21L au Québec, mais aussi à l’échelle mondiale (sur environ 25 ans), un certain nombre de défis restent à résoudre :
- l’arrimage du plan d’action A21L avec les autres initiatives en cours et centrées sur l’amélioration de la qualité et des conditions de vie qu’il s’agisse des initiatives liées aux pactes ruraux, à l’économie sociale, à la réhabilitation de l’environnement, à l’agriculture biologique et soutenue, à la santé et sécurité, etc. ;
- l’intégration du plan d’action A21L avec la réglementation et les outils de planification existants (plan d’urbanisme, schéma d’aménagement) et avec les politiques nationales comme celle sur l’eau, le DD, etc.;
- l’intégration du plan d’action A21L et des principes de DD avec la plan biennal ou triennal de développement de l’administration territoriale et le choix des projets territoriaux ;
- l’adaptation des systèmes budgétaire et législatif, tant localement que nationalement, aux objectifs et aux pratiques de DD ;
- l’identification d’indicateurs d’évaluation et de suivi conviviaux et significatifs, intégrés dès le début de la démarche ;
- le renforcement des capacités du Comité A21, des élus, de leur administration et de la population en général sur le DDV et tous les thèmes qui en découlent ;
- l’ouverture des élus face à un mode de gouvernance participative ;
- le changement de culture organisationnelle afin d’intégrer une approche écosystémique, et une coordination intersectorielle et transversale ;
- le maintien de l’intérêt et de la participation des citoyens sur le long terme, notamment pour les citoyens engagés bénévolement dans la démarche, qui, pour le premier plan d’action, peut prendre plus de deux ans, et pour le suivi, une durée illimitée, de même que la participation des citoyens plus fragiles socialement ;
- les appuis financiers et les incitatifs des gouvernements centraux, des corporations et des entreprises ancrés sur le territoire faisant l’objet d’un A21L ;
- l’institutionnalisation, c’est-à-dire le fait de donner un caractère officiel à la démarche A21L (mais non la technicisation), et ce, afin d’assurer une garantie du suivi à long terme, suite aux efforts consentis (voir encadré ci-dessous) ;
- la solidarité et la responsabilisation de chaque collectivité territoriale vis-à-vis les conditions de vie des plus démunis à l’échelle planétaire.
Des bases juridiques pour assurer la continuité ? Des réponses diverses selon les pays de la Communauté européenne
« L'existence de bases légales spécifiques pour mettre sur pied des Agendas 21 joue sans conteste un rôle important à l'échelle d'un pays. Des textes juridiques contraignants assurent la continuité des projets. Le Danemark et la Grande-Bretagne qui disposent de lois spécifiques sont aussi les pays avec le plus grand nombre de communes ayant entrepris une démarche Agenda 21.
À l'inverse, l'absence de bases légales implique que les démarches de type Agenda 21 dépendent des circonstances, de l'engagement politique du moment ou de la motivation d'acteurs locaux, sans garantie de suivi à long terme. La Norvège et la Suède en sont un exemple. Dans ces deux pays, par ailleurs pionniers dans ce domaine mais qui ne disposent pas d'instruments juridiques spécifiques, on constate actuellement une diminution de l'intérêt porté aux Agendas 21 et par conséquent une baisse de communes engagées dans un tel processus.
À défaut de textes de lois, l'inscription des Agendas 21 dans les stratégies nationales de développement durable témoigne d'une volonté politique, condition propice à stimuler la mise en route de tels processus. La plupart des pays analysés ici ont d'ailleurs choisi ce moyen » (ARE, 2005 : 22).
Que retenir ?
- La démarche d’A21L en est une de gouvernance participative, et à ce titre, d’innovation sociale ;
- bien que l’outil ait déjà été utilisé dans plusieurs pays, tant au Nord qu’au Sud, il est en évolution: il est de plus en plus intégré à la démarche de planification territoriale plus globale et mieux adapté à chaque territoire ;
- malgré tout, il est possible d’identifier des facteurs de réussite et des défis (écueils) qui, à plusieurs égards, s’apparentent à la gestion intégrée de l’environnement.
En complément
La mobilisation des ressources et la concertation dans une communauté
La structure de travail d'un A21L
La construction d'un partenariat avec la communauté
La gestion préventive des conflits et le développement des projets collectifs
Les A21L québécois
L'environnement et la santé humaine
Pour aller plus loin...
CÔTÉ, G., et C., GAGNON (2005). « Gouvernance environnementale et participation citoyenne : pratique ou utopie ? Le cas de l’implantation du mégaprojet industriel Alma (Alcan) », Nouvelles pratiques sociales, vol. 18, no. 1, p. 57-72.
GAGNON, C., L.LEPAGE, M.GAUTHIER, et G.CÔTÉ. (2002). Les comités de suivi au Québec, un nouveau lien de gestion environnementale, GRIR, Chicoutimi, 158 p.
INTERNATIONAL COUNCIL FOR LOCAL ENVIRONMENT INITIATIVES (ICLEI). (2002). Second Local Agenda Survey Report, UN Department of economic and social affairs, 29 p. [Consulter aussi le résumé en français]
MARGERUM, R-D. (1999). « Integrated Environmental Management : the Foundation for Successful Practice ». Environmental Management, vol.24, no 2, pp. 151-166.
MARGERUM, R-D. et S-M., BORN. (1995). « Integrated Environmental Management : moving from Theory to Practice ». Journal of Environmental Planning and Management, vol.38, no 3, pp. 371-390.
OFFICE FÉDÉRAL DU DÉVELOPPEMENT TERRITORIAL (ARE). (2005). Promotion nationale des Agendas 21 locaux en Europe, ARE, 34 p.
EMELIANOFF, C. (1999). La ville durable, un modèle émergent géoscopie du réseau européen des villes durables (Porto, Strasbourg, Goansk), thèse de doctorat, Université d'Orleans, 131 p.
Dernière modification: 18 février 2015