Plan directeur de l’eau (OBV)

 

Guillaume Bourget

Le plan directeur de l'eau ou pourquoi réformer la gestion de l'eau au Québec ?

Résumé

La gestion intégrée de l’eau par bassin versant a été mise en place au Québec suite à l’adoption de la Politique nationale de l’eau en 2002. Le plan directeur de l’eau (PDE) en est l’outil d’application. Qu’est-ce que le PDE? Pourquoi réformer la gestion de l’eau au Québec? Cette fiche thématique présente un survol des événements qui ont mené à la création des organismes de bassins versants au Québec. Les constats qui ont mené à la décision de réformer la gestion de l’eau au Québec sont présentés, les nouvelles façons de faire et les objectifs qu’elles sous-tendent y sont expliqués.

Contexte et historique

Les constats sur l’état de la ressource en eau au Québec et son mode de gestion ont mené, à la fin des années 1990, à la mise en place d’une réforme sur l’eau et ce malgré les investissements majeurs qui avaient été injectés pour les ouvrages municipaux d’assainissement des eaux usées dans les années 1980. Les pratiques de gestion sectorielles de la ressource en eau avaient atteint leurs limites et de nombreux problèmes étaient encore non résolus. Il devenait essentiel pour le Québec d’emboîter le pas comme bien d’autres pays dans le monde afin de changer les pratiques de gestion de l’eau (ROBVQ, 2016).

Les constats en termes de lacunes de gestion alors identifiées sont nombreux. Les principaux sont présentés dans le paragraphe qui suit.

La gestion sectorielle de l'eau s'est avérée être inefficace pour préserver la qualité et la quantité des ressources en eau puisque plusieurs cours d'eau connaissent et connaissent encore aujourd’hui d'importants problèmes de pollution ou de conflits d'usage. De plus, il apparaissait évident que les limites administratives ne constituaient pas les unités de gestion durable de l'eau étant donné qu’elles recoupent les lignes naturelles d’écoulements des eaux propres aux bassins versants.

La prise de décision sans concertation entre les différents acteurs du territoire et l’action des intervenants dans leur unique champ de compétences entraînaient également des conflits quant aux objectifs à atteindre et aux actions à privilégier puisqu’on ne tenait pas compte des besoins et des impacts des autres usagers de l’eau. Le terme « acteurs de l’eau » signifie tous les usagers de l’eau qui ont un intérêt à s’impliquer dans le processus de gouvernance des ressources en eaux d’un bassin versant. Ceux-ci sont généralement regroupés selon leur secteur d’activité de la manière suivante : gouvernemental, autochtone, municipal, économique, environnemental et communautaire (ROBVQ, 2015).

Le mode de gestion sectorielle en place n’était pas efficient puisqu’il entraînait un gaspillage des fonds publics. En effet, les efforts en aval pouvaient être inhibés par des gestes posés en amont. Par exemple, les rejets d’une usine de traitement d’eaux usées d’une municipalité pouvaient être évacués en amont d’un secteur protégé et réservé aux usages récréatifs d’une municipalité située plus en aval. Enfin, il apparaissait clair que les problématiques en matière de la gestion de l'eau telles que la pollution diffuse, la régulation des débits et l’accès à l'eau nécessitaient une vision d'ensemble.

Les principales problématiques de la gestion de la ressource en eau qui sont toujours d’actualité sont :

  • la contamination de l’eau par divers polluants provenant de sources ponctuelles et diffuses, comme des rejets directs d’eaux usées dans un ruisseau (source ponctuelle) ou encore le ruissellement dans les champs agricoles des sédiments chargés d’engrais et de pesticides vers les cours d’eau :
  • la dégradation et la disparition des écosystèmes aquatiques, comme l’ensablement des frayères d’ombles de fontaine ;
  • l’érosion des berges entraînant la perte de terres agricoles ou menaçant des portions de routes;
  • l’eutrophisation des plans d’eau, c’est-à-dire une présence de plus en plus importante de nutriments et de ce fait de végétation aquatique dans les lacs, ce qui entraîne leur vieillissement prématuré (remplissage par accumulation de sédiments et de matière organique);
  • la dégradation et la disparition des milieux humides en raison du drainage et du remblaie;
  • les inondations en zones habitées;
  • la limitation de l’accès public aux plans d’eau en raison de la privatisation des berges;
  • des problèmes d’approvisionnement en eau potable en quantité suffisante.

De nombreuses conséquences découlent de ces problématiques, notamment des risques pour la santé humaine par des contaminations bactériologiques, des coûts élevés de traitement de l’eau, la perte des services rendus par les écosystèmes comme la filtration de l’eau, la perte des usages récréatifs comme la baignade ou la pêche, des dommages matériels, des problèmes de sécurité comme des inondations et bien d’autres.

Afin de pallier à ces pratiques sectorielles et à leurs conséquences sur nos vies, plusieurs recommandations ont été émises dans le cadre de la Commission d’études des problèmes juridiques de l’eau en 1968 et de la Commission sur la gestion de l’eau du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement en 1998. Pour faire suite à celles-ci, des politiques et des lois ont vu le jour et des actions ont été entreprises afin de réformer les pratiques de gestion et de gouvernance de l’eau au Québec. Le tableau ci-dessous présente un résumé de la chronologie des événements.

Tableau PDE

Qu’est-ce que la gestion intégrée ?

La gestion intégrée est une approche qui cherche à inclure les intérêts, les ressources et les contraintes de l'ensemble des acteurs qui interviennent dans un même domaine plutôt que de considérer exclusivement les préoccupations et les responsabilités propres à chacun (ROBVQ, 2016).

Qu’est-ce que la gestion intégrée de l’eau ?

Sasseville et Maranda (2000) définissent la gestion intégrée de l’eau par bassin versant (GIEBV) comme étant un « processus permanent et itératif basé sur la gouvernance participative et la concertation de l’ensemble des acteurs (élus politiques, secteur économique et communautaire) pour une planification globale et une meilleure harmonisation des mesures de protection et d’utilisation des ressources de l’écosystème dans l’optique de développement durable».

La gestion intégrée de l'eau est donc un mode de gestion qui tient compte de l'ensemble des usages qui ont un impact sur la ressource eau. Cette approche permet d'avoir une vision globale et de connaître les effets cumulatifs des activités sur la ressource eau et sur les autres usages de l'eau. Considérer les utilisations et les activités qui touchent l'eau de façon isolée peut sembler bénin mais les considérer dans leurs globalités offre une perception plus réelle de la situation, voire plus alarmante (ROBVQ, 2016).

Qu’est-ce qu’un bassin versant ?

Un bassin versant est l’ensemble d’un territoire drainé par un cours d’eau. Il est constitué des limites naturelles d’écoulement des eaux de surface. Ce sont les crêtes des montagnes et les dénivellations du terrain qui déterminent le sens d’écoulement des eaux, et ce faisant, les limites d'un bassin versant. On appelle généralement ces crêtes de montagne et dénivellations la ligne de partage des eaux. L’ensemble des eaux qui s’écoulent dans un même bassin versant finit par rejoindre le même point de sortie nommé exutoire. Cet exutoire peut être un lac, une rivière, un fleuve, voire un océan, selon l’échelle du bassin versant considéré.

Représentation graphique d'un bassin versant

Représentation graphique d'un bassin versant

Qu’est-ce que la gestion intégrée de l’eau par bassin versant ?

La gestion intégrée de l'eau par bassin versant est un mode de gestion qui tient compte de l'ensemble des activités qui ont un impact sur la ressource en eau à l'intérieur du territoire naturel d'écoulement des eaux, le bassin versant. Ce mode de gestion permet également de considérer la capacité du bassin versant à supporter les usages de l'eau et d'obtenir une vision globale de ces usages afin de les préserver pour les générations futures. La mise en place de ce mode de gestion vise donc à :

  • rassembler les différents usagers de l’eau qui œuvrent dans un même bassin versant afin qu'ils se concertent sur les usages à privilégier et les actions à entreprendre;
  • permettre une utilisation judicieuse des fonds publics et privés en favorisant une coordination plus efficace des actions entreprises par les divers intervenants ;
  • permettre de concilier des usages parfois conflictuels entre la préservation des écosystèmes et les activités de développement économique;
  • favoriser la mise en valeur de l'eau sur les plans environnemental, social et économique;
  • permettre d'adopter une vision commune pour les années futures;
  • favoriser la participation du public dans le processus de prise de décision;
  • faire appel au leadership des acteurs locaux.

Qu’est-ce qu’un organisme de bassin versant ?

Les organismes de bassin versant (OBV) constituent des tables de concertation où siègent tous les acteurs de l’eau d’une même zone de gestion intégrée de l’eau, soit les intervenants des secteurs municipal, économique, communautaire, autochtone et gouvernemental. L’OBV a pour mission d’élaborer et de mettre à jour un plan directeur de l’eau, de le promouvoir et de suivre sa mise en œuvre en s’assurant d’une représentation équilibrée des utilisateurs et des divers milieux intéressés (Loi sur l’eau, 2009).

En 2002, il y avait 33 organismes de bassins versants sous la forme juridique d’organismes à but non lucratif (OBNL) qui couvraient 25% du territoire québécois. Certains existaient déjà avant la mise en place de la politique nationale de l’eau alors que d’autres ont été créés au moment de son adoption. Il s’agissait alors des bassins versants des 33 rivières jugées prioritaires (figure ci-dessous).

Bassins versants prioritaires

Bassins versants prioritaires

 

Suite à l’adoption de la Loi sur l’eau de 2009, l’ensemble du Québec méridional fut divisé en 40 zones de gestion intégrée de l’eau (figure ci-dessous) pour autant d’organismes de bassins versants reconnus (OBV). Ces zones de gestion intégrée pouvaient alors inclure plus d’un bassin versant.

Zones de gestion intégrée de l'eau par bassin versant

Zones de gestion intégrée de l'eau par bassin versant

Qu’est-ce que le plan directeur de l’eau (PDE) ?

Le plan directeur de l’eau permet de structurer le processus de mise en place de la gestion intégrée de l’eau par bassin versant et d’aider à la prise de décision. Ce processus de planification, réalisé en concertation avec les acteurs de l’eau d’un bassin versant, se veut adaptatif, itératif et prospectif.

Le PDE est adaptatif puisqu’en raison de la constante évolution de l’état des ressources en eau et des usages propres à chaque bassin versant, des ajustements continuels doivent être apportés au processus de planification afin d’obtenir les résultats escomptés. Le processus se doit d’être répété continuellement afin de mettre à jour l’information et d’ajuster les pratiques en fonction des connaissances acquises. Les acteurs de l’eau sont appelés à se projeter dans l’avenir de manière à prévoir dès aujourd’hui l’état souhaité des ressources de demain et des actions à mettre en œuvre pour y parvenir et incidemment de contribuer à la gestion durable de l’eau.

Les principaux éléments inclus dans les PDE sont les suivants :

  • un portrait de l'état actuel de la ressource eau dans la zone de gestion en fonction des connaissances du moment;
  • un diagnostic qui permet de déterminer les problématiques prioritaires et, ce faisant, les enjeux majeurs de la zone;
  • des orientations découlant des problématiques priorisées afin de guider le choix des objectifs à fixer et des actions à entreprendre;
  • un plan d'action qui indique les objectifs à atteindre et les actions à mettre en œuvre par tous les acteurs du territoire pour enrayer les problématiques ciblées et leurs conséquences.

Les problématiques de la gestion de l’eau peuvent être regroupées par catégorie d’enjeux plus englobants. Six catégories d’enjeux ont été identifiées dans le cadre de la gestion intégrée de l’eau par bassin versant soit :

  • la qualité;
  • les écosystèmes;
  • la quantité;
  • la sécurité;
  • l’accessibilité;
  • la culturalité (ROBVQ, 2016).

La qualité de l’eau peut constituer un enjeu de santé et de sécurité. En effet, une mauvaise qualité de l’eau peut compromettre plusieurs usages, tels que l’approvisionnement en eau potable, l’assainissement des eaux usées et les usages récréatifs.

L’enjeu des écosystèmes concerne pour sa part les différentes atteintes, anthropiques ou non, à l’intégrité des écosystèmes aquatiques.

La quantité d’eau disponible peut être un facteur de risque. Par exemple, si elle est en surplus des inondations peuvent survenir et dans le cas d’une pénurie cela peut occasionner des difficultés d’approvisionnement en eau.

Les enjeux de sécurité sont multiples :

  • érosion des berges;
  • inondations en zones habitées;
  • trihalométhanes dans l’eau potable;
  • métaux lourds dans l’eau potable;
  • cyanobactéries;
  • déchets radioactifs;
  • parasites;
  • eaux usées.

L’accessibilité aux cours d’eau est la possibilité pour la population d'accéder librement aux lacs et aux rivières afin d’y pratiquer des usages récréatifs tels que la baignade, la pêche, le canot et le kayak. Elle est également en lien direct avec la notion de patrimoine naturel puisque l’accès permet d’explorer, de mieux comprendre et d’acquérir des connaissances vis-à-vis des écosystèmes aquatiques.

La culturalité est liée aux représentations sociales, aux croyances, à l’attachement, au sentiment d’appartenance à un cours d’eau ou à un plan d’eau. La valeur foncière des habitations autour des plans d’eau et les valeurs reliées aux croyances des Premières Nations en sont des exemples.

Le PDE, un processus concerté

Le processus du PDE est réalisé en concertation avec les acteurs du milieu par le biais de divers mécanismes participatifs comme des comités techniques, des tables de concertation, ou des consultations publiques mis en place par l’OBV. Le mécanisme principal est la table de concertation. Celle-ci doit être constituée, tout comme pour le conseil d’administration de l’OBV s’il diffère de la table de concertation, en respectant la représentativité de la nature des activités dans la zone de gestion, c’est-à-dire entre les secteurs municipal, économique, communautaire et autochtone.

Les acteurs interpellés prennent des engagements sur une base volontaire afin de réaliser le plan d’action. L’OBV, à titre de table de concertation, coordonne les différentes activités nécessaires à l’élaboration du PDE, à sa mise en œuvre et à son suivi. L’OBV veille à ce que la logique de bassin versant soit respectée pour éviter les conflits d’usages et assurer la pérennité de la ressource.

De l’harmonisation aux outils de planification territoriale

La gestion de l’eau a de multiples interrelations avec l’utilisation du territoire et son aménagement. La concertation réalisée entre les différents intervenants d’un bassin versant doit se refléter dans les outils de ces derniers. L’harmonisation des PDE aux outils de planification territoriaux doit être réalisée afin d’éviter toute incohérence entre l’aménagement du territoire et la gestion des ressources en eau. Par exemple, ces harmonisations peuvent être réalisées dans le cadre des schémas d’aménagement et de développement (SAD) des municipalités régionales de comtés (MRC) ou encore dans le cadre des plans d’urbanisme (PU) des municipalités . Par ailleurs, cette harmonisation doit être appliquée pour être en conformité avec la Loi sur l’eau de 2009, qui stipule que : «Le ministre doit en outre transmettre copie du plan aux ministères et organismes du gouvernement ainsi qu’aux municipalités régionales de comté, aux communautés métropolitaines et aux municipalités locales dont le territoire est compris en tout ou en partie dans l’unité hydrographique visée par ce plan, afin qu’ils le prennent en considération dans l’exercice des attributions qui leur sont conférées par la loi dans le domaine de l’eau ou dans tout autre domaine ayant une incidence sur l’eau» (Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection, article 15).

Conclusion

C’est dans une optique de développement durable que le processus du plan directeur de l’eau a été mis de l’avant au Québec. En effet, par le biais d’une gestion concertée de l’eau par bassin versant il devrait être possible d’assurer la pérennité de la ressource en eau en obtenant des gains en termes de qualité (diminution de la quantité de nutriments, de matières en suspension et de micro-organismes pathogènes dans les plans d’eau) et en réduisant les conflits d’usage.

Comment citer ce texte ?

BOURGET, G. (2016). « Le plan directeur de l'eau ou pourquoi réformer la gestion de l'eau au Québec ? ». Dans GAGNON, C. (Éd). Guide québécois pour des Agendas 21e siècle locaux : applications territoriales de développement durable viable, [En ligne] http://www.demarchesterritorialesdedeveloppementdurable.org/plan-directeur-de-leau-obv/ (page consultée le jour mois année).

En complément...

Les acteurs et leurs principaux rôles
Les étapes d'une démarche

Pour aller plus loin...

Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection
Regroupement des Organismes de Bassins Versants du Québec (ROBVQ)
Boîte à outils du plan directeur de l’eau (PDE)
Liste des OBV classée par ordre alphabétique                                                                                                                                                      Outil d'autodiagnostic municipal en gestion durable des eaux pluviales du ROBVQ

Projet de loi 122 visant à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter leur autonomie et leurs pouvoirs (ROBVQ, février 2017)

Dernière modification: 24 février 2017