Un scénario ambitieux de transition écologique dans les transports : quel financement?
- Financement de la transition écologique des transports au Québec : le possible et le faisable
- Le scénario d'investissement
- Le scénario de financement
- En conclusion
Financement de la transition écologique des transports au Québec : le possible et le faisable
Dans ce troisième et dernier billet de cette série, je vais présenter les éléments du scénario de transition dans les transports que nous avons proposé l’an dernier, dans un rapport de recherche de l’IRÉC. Dans le premier billet, on avait mis la table sur l’environnement général (politique, réglementaire, technologique, financier) qui encadre le contexte d’une telle démarche, en soulignant plus particulièrement ce qui devrait être attendu des décideurs ou qui serait nécessaire à mettre en place pour appuyer un scénario de transition. On avait vu que, malgré certains points négatifs, le contexte général semblait plutôt propice à une telle démarche. Dans le second billet, on a plutôt cherché à montrer l’inconsistance du supposé « leadership » du gouvernement québécois dans sa lutte aux changements climatiques et, par le fait même, l’obstacle qu’il représente par rapport à une démarche de transition. Contrairement à ses prétentions, la transition dans les transports a été, comme bien d’autres axes d’intervention publique, l’une des nombreuses victimes de l’austérité.
À ce propos, j’ai récemment produit une note de l’IRÉC qui met en pièce le nouveau Plan d’action sur l’électrification des transports (PAÉT) 2015-2020. Ce plan n’impressionne guère, ni par la profondeur de l’analyse ni par l’ambition. Son horizon est trop court, il reste prisonnier d’une approche sectorielle limitée et les moyens qu’il mobilise sont insuffisants. Les cibles de réduction des impacts négatifs du transport qui sont proposées dans ce plan sont totalement insignifiantes : la réduction de 150 000 tonnes de gaz à effet de serre (GES) ne représente qu’un demi de 1 % des 27,3 millions de tonnes (Mt) de dioxyde de carbone (CO2) émises par le transport terrestre en 2012; la réduction de 66 millions de litres de carburant consommés annuellement au Québec ne représente que 0,6 % des carburants consommés dans le secteur du transport terrestre. De toute évidence, le Québec méritait mieux et l’urgence d’agir exigeait plus. Dans la suite de ce billet, je vais aborder dans un premier temps les investissements que nous proposons pour entamer le début d’une transition dans les transports sur l’horizon 2030. Le début, car la période de quinze années (2015-2030) couverte par notre rapport est évidemment trop courte pour pouvoir prétendre compléter une transition écologique complète des transports. Néanmoins, les pièces seraient mises en place pour la réalisation d’un sentier de transition de plus en plus radical dans les années 2030 et 2040. Dans un deuxième temps, nous allons présenter notre scénario de financement, qui représente le principal apport de notre proposition.
Le scénario d'investissement
Il est important de préciser, de prime abord, que la transition dans les transports ne se limite pas à la seule électrification : un scénario crédible passe aussi par différentes mesures pour favoriser :
- le transfert modal vers le transport collectif;
- le transport actif;
- l’autopartage;
- la prise en compte du potentiel de l'essence et des biocarburants comme sources alternatives et moins polluantes à l’essence et au diesel.
Néanmoins, pour diverses raisons, dont celle de l’ampleur des efforts qu’il aurait fallu y mettre dépassait nos faibles moyens, notre scénario de transition a surtout mis l’accent sur le transport collectif et les mesures d’électrification. Le scénario d’investissement pour la transition repose sur un ensemble de projets et de propositions déjà connus, ainsi que sur des hypothèses de travail qui ont fait l’objet de validations. Le premier axe du scénario est celui des investissements publics dans le réseau routier et dans les réseaux de transport en commun (Plan québécois des infrastructures 2015-2030); le deuxième est celui des investissements dans l’électrification des transports; le troisième s’intéresse au transport des marchandises; enfin, le quatrième axe mise sur les nécessaires investissements dans l’écosystème productif lié au transport.
Plan québécois d’infrastructure (PQI) 2015-2030
En reprenant la plupart des grands projets de transport proposés par les sociétés de transport collectif (STC), mais en les échelonnant sur une période plus longue (sur l’horizon 2030), nous évaluons que le coût des investissements à réaliser pour jeter les bases d’un processus de transition énergétique devrait s’élever à 30,5 milliards de dollars, soit 10 milliards de dollars de plus que nos estimations pour un scénario « cours normal des affaires » (CNA). Sur cette base, la palette des investissements qui devraient être réalisés par les STC serait 50 % plus large que ce que prévoyait ce dernier. Notons que l’électrification graduelle de la flotte de bus (achats de bus hybrides entre 2015 et 2025 et de bus électriques après 2025) fait déjà partie du scénario CNA.
Autres projets d’électrification des transports de personne
Outre les investissements publics dans les transports collectifs, dont certains éléments couvrent en même temps l’électrification des transports, notre scénario présente d’autres projets d’électrification des transports de personnes, dont les investissements ne sont pas exclusivement sur le mode public. Nous distinguons ces divers éléments en trois catégories :
- les transports collectifs en mode privé;
- les transports privés;
- le transport scolaire.
Les transports collectifs en mode privé
Notre scénario de transition comprend plusieurs grands projets d’investissements privés en transport collectif électrifié. Il y a d’abord les projets initiés par la nouvelle filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec, CDPQ Infra. Nous faisons l’hypothèse que trois projets de transport collectif électrifié pourraient être réalisés par CDPQ Infra et ses partenaires dans la région métropolitaine :
- le projet de système léger sur rail (SLR) du pont Champlain;
- le projet de SLR vers l’aéroport de Dorval et l’Ouest de Montréal ;
- auxquels nous ajoutons un projet de SLR pour l’Est de Montréal dans le secteur de l’avenue Souligny, de la rue Dickson et de la rue Notre-Dame à Pointe-aux-Trembles.
Nous évaluons que ces trois projets de train léger électrique seraient complémentaires pour CDPQ Infra puisqu’ils partageraient une même technologie de transport, qu’ils favoriseraient une économie d’échelle dans la logistique et l’entretien, et qu’ils pourraient concentrer vers un même pôle central (une nouvelle gare centrale dans le Quartier des Gares ou adjacent) un achalandage significativement élevé d’utilisateurs. Nous estimons que les investissements requis à leur réalisation s’élèveraient à 7,5 milliards de dollars. Nous aborderons le mode de financement de ces projets dans le prochain (et dernier) billet de cette série.
Les transports privés
Notre scénario de transition propose un nouveau Plan d’action sur les véhicules électriques (NPVE) qui permettrait de prolonger le programme d’aide financière aux achats de véhicules électriques (VE) sur une plus longue période, à un coût moindre pour l’État, avec des objectifs plus réalistes. Il consisterait à :
- remplacer le système actuel par la mise en place d’un bonus-malus à l’achat de véhicule;
- il serait complété par une élimination temporaire et partielle de la taxe de vente du Québec (TVQ) et, éventuellement, de la taxe sur les produits et services (TPS);
- cette élimination de la taxe de vente serait temporaire puisqu’elle devrait être réévalué en 2020, ou avec l’atteinte d’un objectif de 60 000 achats de VE (soit avec 15 % des nouveaux achats et 3 % du parc total);
- cette élimination de la taxe de vente serait partielle puisqu’elle serait plafonnée à un montant de 35 000 $ (la taxe de vente s’appliquerait aux montants excédents);
- le bonus-malus, quant à lui, se poursuivrait jusqu’en 2030 (quitte à le réévaluer de façon périodique de manière à s’assurer qu’il soit financièrement neutre sur le moyen terme).
Le transport scolaire
En raison de son statut particulier de transport collectif pour une clientèle particulière, en mode parapublic, le transport scolaire mérite une proposition spécifique. Selon les données officielles, au Québec, près de 575 000 enfants, soit 60 % de la clientèle scolaire, prennent place matin et après-midi à bord de plus de 9 500 autobus scolaires qui parcourent environ un million de kilomètres par jour (moyenne de 105 km par autobus). Or, le gouvernement du Québec a aidé le fabricant Autobus Lion à développer un bus scolaire électrique lui permettant d’atteindre une autonomie d'environ 90 km (ou 180 km avec une recharge à mi-journée). L’autobus utilise annuellement 8000 litres de diesel de moins qu’un autobus conventionnel. Aujourd’hui, on calcule que son coût d’achat (100 000 $ contre 50 000 $ pour bus diesel) est rentabilisé en 5-6 ans (le coût annuel de l’énergie électrique serait de 2 500 $ contre 13 000 $ au diesel, soit un gain de 10 000 $ par année). Puisque les autobus scolaires ont une durée de vie de 13 ans selon la loi, il y a la possibilité d’achat de 730 E-Lion par an pendant 13 ans pour remplacer le parc. Pour accélérer le renouvellement du parc, nous proposons la création d’un bonus-malus pour les commissions scolaires. Nous revenons sur les détails financiers dans le volet financement.
Le transport des marchandises
Le transport des marchandises est le plus complexe des domaines où il faut agir pour la transition dans les transports en raison d’un ensemble de facteurs hors de contrôle (très forte concurrence sur un marché continental, domination du mode de gestion des marchandises en «juste-à-temps», longues distances parcourues, etc.). Le ministère des Transports du Québec (MTQ) a déjà mis en place un programme qui vise à favoriser les pratiques plus écologiques dans ce domaine. Mais les moyens sont faibles par rapport aux enjeux. Pour notre scénario, nous proposons un programme de recherche et développement (R&D) et de banc d’essai pour l’électrification des camions et des flottes. Je renvoie le lecteur à notre recherche de l’IRÉC pour prendre connaissance de notre argumentation.
Autres investissements pour la transition dans les transports
Il y a plusieurs autres investissements qu’il faudrait traiter s’il fallait produire un plan de route adéquat pour une transition dans les transports. Aux fins de notre scénario, nous nous sommes limités à quelques pistes qui nous apparaissent tout à fait indispensables pour assurer le succès d’une telle démarche, en particulier des investissements dans l’écosystème productif du secteur des équipements de transport. Le succès de la transition dans les transports va en effet dépendre de sa capacité à produire des impacts positifs concrets sur l’ensemble de l’économie québécoise. Pour y parvenir, la stratégie doit comprendre des éléments de politique de transport et de politique industrielle qui se renforcent mutuellement. Concrètement, il faut profiter des importants investissements publics et privés dans les transports pour redynamiser et rendre plus compétitifs les secteurs de la production de biens ou de services qui y sont associés. Nous proposons la création de trois fonds d’investissement.
Le premier fonds viserait à canaliser, avec des partenaires financiers, 500 millions de dollars dans un « fonds de fonds ». Son objectif : investir ces capitaux dans des fonds d’investissement spécialisés dans les technologies associées à la transition dans les transports. Pour le deuxième fonds, nous proposons de doter le programme des projets majeurs d’Investissement Québec (IQ) d’un milliard de dollars sur 15 ans, dédié à la transition dans les transports. Ce programme d’IQ permet déjà au gouvernement d’investir directement dans le capital d’entreprise. En parallèle à ces deux fonds d’investissement, nous proposons aussi la création d’un fonds de R&D de 200 M$ dédié à la transition dans les transports (les piles, les moteurs électriques, les prolongateurs d’autonomie, etc., à leur adaptation au climat nordique).
Le scénario de financement
Le financement est le nerf de la guerre aux changements climatiques. Mais pour faire face à la pensée de l’austérité qui s’est imposée ici et ailleurs, il faut innover financièrement. Les solutions qui sont avancées par les spécialistes sur la question relèvent de trois ordres d’intervention : jouer sur l’effet de levier et sur les plus-values; rééquilibrer les priorités; miser sur l’écofiscalité. Autrement dit, il faut accroître l’effet de levier des actifs existants, rééquilibrer les priorités transport routier/transport collectif et faire appel à l’écofiscalité pour générer des flux de revenus dédiés à la transition.
Dans cette section, nous allons présenter les propositions de notre scénario qui permettent de financer les investissements présentés dans la section précédente. Nous verrons, successivement, comment les principaux intervenants vont contribuer à financer cette transition. Dans ce cadre, l’écofiscalité doit jouer un rôle important : parvenir à imposer un juste prix aux externalités négatives (taxe et marché carbone, essentiellement) ainsi qu’à canaliser une partie des externalités positives (plus-value foncière, coût énergétique moindre, productivité globale de l’économie) vers les investissements en transport collectif (TC).
Les contributions du gouvernement du Québec
Le gouvernement du Québec est le principal contributeur au financement du transport. Nous verrons dans cette section sous quelles formes les investissements pour la transition peuvent être financés.
Le Fonds des réseaux de transport terrestre
Le MTQ a les budgets pour réaliser les investissements dans les transports terrestres par l’entremise du Fonds des réseaux de transport terrestre (FORT) dont la principale source de financement est la taxe d’accise sur l’essence et le diesel. Le premier volet de notre scénario transition mise sur une hausse d’un 0,01 $/litre par année pendant cinq ans de la taxe d’accise sur les carburants, comme cela avait été fait de 2010 à 2014 afin d'accroître les ressources nécessaires pour financer adéquatement le réseau routier du MTQ. Nous reprenons donc la proposition du rapport Godbout (voir le 2e billet de cette série) à la différence qu’au lieu d’utiliser ces revenus pour compenser une baisse de l’impôt sur le revenu, nous l’appliquons à la mission du FORT, en la dédiant spécifiquement au transport collectif.
Ainsi, de 2016 à 2020 la taxe d’accise sur l'essence passerait de 19,2 cents par litre à 24,2 cents par litre, alors que la taxe sur le diesel passerait de 20,2 cents par litre à 25,2 cents par litre. Deux faits doivent être soulignés concernant cette mesure de financement. Premièrement, les revenus du FORT montrent d’ores et déjà des signes de plafonnement en raison des tendances observées dans la consommation d’essence au Québec, c’est-à-dire une baisse tendancielle en raison des nouvelles normes d’efficacité (voir le graphique suivant qui montre que la consommation réelle de carburant a plafonné depuis 2008). Les revenus de la taxe d’accise sur les carburants découlant de notre proposition font état de revenus supplémentaires de 3,5 milliards de dollars pour la période 2015-2030, et ce, malgré une baisse significative de la consommation d’essence et de diesel dans la foulée des investissements en faveur de la transition (transfert modal vers les TC, efficacité énergétique et électrification). Selon nos estimations (voir graphique), la consommation devrait diminuer à partir de 2020, peu importe le scénario (CNA ou Transition). Mais le scénario de transition montre que la diminution serait plus rapide et plus forte.
D’autre part, les revenus du FORT provenant du Système de plafonnement et d’échange de droits d’émission (SPEDE, le marché carbone) devrait connaître une hausse significative pour la période 2021-2030 en raison d’une cible de réduction de GES plus ambitieuse (-40 %) ainsi qu’une hausse plus importante du prix plancher. Nos prévisions pour le scénario Transition s’élèvent à 10,3 milliards de dollars pour la période 2021-2030. Globalement, nos estimations permettent de conclure que les revenus du FORT demeureraient supérieurs à ses dépenses jusqu'aux environs de 2025, grâce à l'apport du SPEDE, malgré des investissements plus élevés en transport en commun et en dépit du plafonnement de la taxe sur les carburants. Pour la période 2025-2030, les surplus générés antérieurement permettraient de combler les déficits.
Le Nouveau Plan d’action en faveur des VE (NPVE)
Comme nous l’avons mentionné précédemment, le NPVE que nous proposons pour la transition permettrait de prolonger le programme d’aide financière aux achats de VE sur une plus longue période, à un coût moindre pour l’État, avec des objectifs plus réalistes. Le NPVE consisterait à remplacer le système actuel par la mise en place d’un bonus-malus à l’achat de véhicule qui serait complété par une élimination temporaire de la TVQ et, éventuellement, de la TPS. Le programme de subvention (l’élimination de la taxe de vente) serait temporaire (jusqu’à l’atteinte d’un objectif de 60 000 achats de VE ou de 15 % des nouveaux achats) et partiel (plafonné à un montant de 35 000 $). Le bonus-malus, quant à lui, se poursuivrait jusqu’en 2030. À ce système de soutien aux VE, nous ajoutons la relance du programme Faites de l’air qui comprendrait, entre autres, une remise en argent en échange du recyclage d’un vieux véhicule pour un VE.
Le tableau suivant présente les éléments du bonus/malus du NPVE. Les véhicules dont la consommation correspond à la cible d’efficacité énergétique des nouveaux véhicules pour 2016 (127 grammes de CO2/km ou 5,5 litres/100 km) n’ont aucun bonus ou malus. Au-delà, les acheteurs doivent débourser un malus en fonction de la consommation, avec un maximum de 3500 $ pour les véhicules consommant plus de 10 litres par 100 km; en deçà, ils reçoivent un bonus pouvant aller jusqu’à 4000 $ pour les véhicules tout électriques.
Dans notre scénario de transition, c’est Hydro-Québec qui est responsable de financer le développement du réseau de bornes, étant le principal bénéficiaire de ce nouveau marché. Nous estimons que les revenus provenant des bornes s’élèveraient à plus de 350 millions de dollars en 2030 et à près de 2 milliards de dollars pour la période 2015-2030. Nous proposons que deux tiers de ces revenus soient réinvestis dans le développement du réseau de bornes.
Autres contributions du Québec (provenant des autres organisations étatiques)
Le gouvernement du Québec va également contribuer au financement de la transition dans les transports par le biais des autres organisations étatiques. Le navire amiral de cette contribution est Investissement Québec (IQ), lequel aurait le mandat de gérer les actifs des deux fonds dédiés au financement de l’écosystème productif associé à la transition dans les transports. La part des investissements attribuable à IQ s’élèverait à 1,1 milliard de dollars, soit un milliard de dollars dans le programme des projets majeurs géré par IQ et 100 millions de dollars de contribution gouvernementale québécoise pour un fonds de 500 millions de dollars (les 400 autres millions de dollars provenant des partenaires).
Mais ces 1,1 milliard de dollars d’emprunts sur les marchés se feraient de façon graduelle, au fur et à mesure de la réalisation des investissements sur les 15 ans de la période couverte par notre scénario. Par ailleurs, il faut considérer que :
- ces investissements seraient réalisés dans des projets rentables, sur la base d’une analyse financière préalable de chacun d’eux;
- ces emprunts n’alourdiraient pas la dette du gouvernement puisque, en contrepartie d’une inscription de la dette à long terme d’IQ, il y aurait l’inscription d’actifs (actions ou dettes) découlant des investissements réalisés dans les entreprises ou les projets financés;
- enfin, le coût réel de l’emprunt graduel de 1,1 M$ sur 15 ans serait atténué, voire annulé, par le rendement des projets financés. Bien sûr, il y a toujours une part de risque dans ces investissements, mais le rendement serait aussi à l’avenant.
Les contributions du gouvernement fédéral
En ce qui concerne les contributions du fédéral, il va sans dire que les marges que nous avions pour faire des hypothèses étaient extrêmement étroites, tout comme la vision de l’ancien gouvernement. Avec le nouveau budget du ministre des Finances du Canada présenté en mars 2016, il faudrait refaire une analyse plus pointue des contributions du fédéral. Mais d’ores et déjà, on peut dire que la partie du Fonds fédéral de la taxe sur l’essence qui est transféré à la Société de financement des infrastructures locales et les autres programmes du Plan Chantier Canada qui existaient alors permettaient au Québec de réclamer une participation du fédéral dans plusieurs des projets de notre scénario. Ces contributions ne pourront qu’être renforcées par le gouvernement fédéral de Justin Trudeau. Il faudrait négocier avec le fédéral sa participation au Nouveau Plan d’action en faveur des VE (élimination temporaire et partielle de la TPS à l’achat de VE). Nous évaluons cette dernière à 200 millions de dollars pour le gouvernement fédéral (une moyenne de 40 millions de dollars par année).
Le financement des services de transport en commun (exploitation)
Le fardeau fiscal des municipalités pour le transport en commun, dans sa forme actuelle, a probablement atteint ses limites, en reposant exclusivement sur la taxe foncière. Pour financer l’exploitation des services, plusieurs hypothèses de travail sont envisagées dans notre scénario de transition. Pour ce qui est des dépenses d'exploitation, il convient de noter que la transition des bus au diesel vers les bus hybrides et électriques de 2016 à 2030 permettra d’améliorer la productivité énergétique en capitalisant sur les gains de l’électrification. La diminution des dépenses en diesel devrait s’accroître au fur et à mesure de l’entrée en service des bus hybrides et électriques, passant graduellement de 3 % à 65 % des budgets énergétiques estimés. C’est donc là un gain, certes minime dans les premières années, mais qui peut représenter autour de 4 à 5 % des dépenses globales des sociétés de transport collectif (STC) en 2030, ce qui n’est pas négligeable.
En nous inspirant du projet Big Move de Toronto (50 milliards de dollars sur 25 ans) qui s’appuie sur de nouvelles sources de financement, dont des péages sur les autoroutes, des taxes sur le stationnement hors rue et une hausse de la taxe de vente, qui lui permettront d’engranger un flux de revenus annuels de plus de 1 milliard $, nos hypothèses de travail consistent à proposer pour les villes et les sociétés de transport de nouveaux moyens pour contribuer au développement et à l’exploitation des STC. Nous proposons deux mesures principales :
- pour la grande région de Montréal, une forme de péage destiné à gérer la congestion;
- pour les six agglomérations où sont implantées les STC, une taxe sur le stationnement non résidentiel hors rue.
Le rendement annuel du péage métropolitain est estimé à 600 millions de dollars et celui de la taxe sur le stationnement à 425 millions de dollars. Le produit de ces prélèvements serait attribué pour moitié au réseau routier et pour moitié au TC. Avec ces ressources additionnelles d'environ 515 millions de dollars par an, il serait possible de financer presque complètement les investissements et services que comporte le scénario. De plus, les municipalités disposeraient de ressources nouvelles provenant des usagers de la route pour leur réseau routier.
Les contributions du privé
La participation financière du privé à la transition énergétique des transports prend plusieurs formes. Elle peut provenir des entreprises comme des
individus. Par exemple, on peut considérer que les achats de VE par les ménages et les entreprises sont du financement privé de la transition. En l’occurrence, selon les estimations de ventes de VE que nous avons faites, ils représentent des investissements de plus de 50 milliards de dollars. Mais les éléments les plus innovateurs de financement de la transition par le privé, parce qu’ils impliquent des retombées importantes pour le Québec, se trouvent parmi les autres formes de contributions que nous présentons ici. Parmi ceux-ci on trouve les projets mis à l’étude par la nouvelle filiale de la Caisse de dépôt et placement, CDPQ Infra. En s’appuyant sur une dizaine d’exemples ailleurs dans le monde, une étude de la Banque Nationale affirme que les projets de SLR du Pont-Champlain et de la desserte vers Dorval et l’Ouest de l’Île représentent de bons exemples de projets qui pourraient être financés sur le mode de la captation de la plus-value foncière (CPVF). Selon l’étude, entre 35 et 40 % des coûts de ces deux projets (qu’ils estiment entre 700 et 800 M$) pourraient provenir de cette plus-value. Généralement, toute la plus-value foncière générée par les projets de transport collectif est accaparée par l’industrie immobilière. Le mode de la CPVF permet qu’une partie importante de cette dernière soit captée par le développeur des projets de TC, dans le cas qui nous intéresse par CDPQ Infra. Mais l’effet de levier est encore plus grand dans la mesure où l’on doit considérer que la contribution gouvernementale à ces projets, c'est-à-dire une participation au capital par le biais d’Investissement Québec, ne représentera qu’une fraction des investissements totaux. La Caisse fera aussi appel aux autres investisseurs institutionnels québécois pour contribuer au montage financier de ces projets.
En conclusion
Selon les résultats de nos simulations de la consommation totale des véhicules, la baisse des émissions obtenue pour les véhicules à essence pour la durée de notre scénario est de 33,4 %, avec en absolu une baisse de 6,5 millions de tonnes de CO2. Pour les véhicules au diesel (2 % des véhicules routiers, ou 2,5 % si on inclut les autobus, mais 11,4 % des GES globaux) le scénario transition implique une baisse des GES de 7 %, soit une réduction de 0,6 million de tonnes de CO2. Au total, notre scénario de transition conduit à une baisse de 7,1 Mt de CO2. Cependant, ce résultat repose sur des hypothèses que nous qualifierions de très conservatrices. En effet, à partir de 2021, nous estimons que le nouveau plan pour les VE (NPVE) ainsi que les investissements en faveur de l’électrification des TC permettront d’aller bien au-delà de nos hypothèses de croissance de l’efficacité énergétique. Nous estimons que notre scénario de transition des transports contribue à hauteur de 80 % à la cible de -40 %. Le 20 % restant pourrait provenir soit d’une politique énergétique plus agressive en faveur des biocarburants, soit d’une bonification des incitatifs pour l’électrification des transports.
En complément
Bourque, G., L. Favreau et F. L’Italien (dir.) (2015), Transition énergétique, l’urgence d’agir. Revue Vie économique, vol.6, numéro 2, Montréal. http://www.eve.coop/?r=23
Granjean, A. et M. Martini (2016), Financer la transition énergétique, Éd. de l’Atelier, Paris
Favreau, L. et M. Hébert (2012), La transition écologique de l’économie, PUQ, Québéec
Kempf, H. (2009), Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Seuil, Paris.
Comment citer ce texte ?
BOURQUE, G. (2016). « Un scénario ambitieux de transition écologique dans les transports : quel financement? » Dans GAGNON, C. (éditrice). Guide québécois pour des Agendas 21e siècle locaux : applications territoriales de développement durable viable, [En ligne] http://www.http://demarchesterritorialesdedeveloppementdurable.org/transition-ecologique-dans-les-transports-2/ (page consultée le jour mois année).
Dernière modification: 6 décembre 2016